Athlétisme

Pierre-Ambroise Bosse champion du Monde du 800 mètres !

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Poste Le 9 août 2017 par adminVO2

Jamais un Français n’avait été champion du Monde, ni même médaillé, sur le double tour de piste. Dans une course très ouverte, Pierre-Ambroise a pris sa chance, en plaçant un foudroyant démarrage à un peu plus de 200 mètres de l’arrivée. Et il a tenu bon, en dépit d’une préparation pas des plus sereines.
Celle-ci, on ne l’avait pas vu venir ! S’il a pu distiller ses saillies plus ou moins bien senties, s’enfermant parfois dans son personnage, c’est bien sur la piste qu’il faut parler. Et la saillie la plus notable de sa carrière (celle de Rio était pas mal non plus, mais Rudisha and co l’avait repris), Pierre-Ambroise Bosse l’a déclenchée ce mardi 8 août 2017 à environ 250 mètres de l’arrivée, pour prendre la tête de cette finale du 800 m et ne plus la lâcher, s’imposant en 1’44’’70, devant le Polonais Adam Kszcot (1’44’’95), vice-champion olympique à Rio, et le Kényan Kipyegon Bett (1’45’’21). Le 11e titre mondial pour l’équipe de France depuis l’introduction des Mondiaux en 1983.
Le natif de Nantes cultive la culture du contre-pied, et ce fut d’autant plus surprenant qu’il n’était pas escorté par la plus grande des confiances en prenant l’Eurostar, la faute à une préparation ralenti par de sempiternels soucis physiques. Il convient aussi de souligner que, cette saison et contrairement aux Jeux, le niveau de la discipline est un ton en dessous de celui qui a prévalu ces dernières années. Le double champion olympique David Rudisha a dû déclarer forfait quelques jours avant le début des Mondiaux, et en dépit du pedigree des finalistes, aucun ne paraissait vraiment au-dessus du lot. Pour preuve, et Bosse et Kszcot ont réalisé leur meilleur chrono de la saison…lors de la finale.
Surprenant, car Bosse parlait ainsi lui-même de « miracle » aux championnats de France mi-juillet, à propos de ce qui n’était alors qu’un hypothétique médaille.


A Londres, sa série puis sa demi-finale avaient corroboré cette forme incertaine. Ce qui lui permit aussi d’arriver en position d’outsider, lui qui s’était liquéfié en finale des championnats d’Europe à Zurich en 2014 (8e), un mois après avoir claqué ses 1’42’’53 à Monaco, un chrono qui l’avait propulsé dans une autre dimension. « Ça fait partie de mon histoire » relève le 5e des Mondiaux de Pékin, il y a deux ans.
Dimanche, il s’était qualifié au temps, laissant l’impression de se battre avec lui-même.
« J’étais un peu nerveux au départ. Ça prouve que je ne suis pas non plus dans mon assiette. Mais l’important, c’est que je passe. Donc dans deux jours, est-ce qu’on va retenir que le mec est passé en finale et qu’il a encore morflé, ou est-ce qu’il est vraiment passé en finale pour faire quelque chose ? Ça, l’avenir nous le dira » prophétisait-il.
« On peut se surpasser »
On lui demanda alors ce qu’il pouvait en escompter. « On peut se surpasser. Il y a des trucs qui se passent. On peut devenir un peu timbré dans certaines circonstances. J’espère  que mon alter ego avec le sabre rouge va sortir, se montrer et va nous pondre un truc sympa. Le sabre rouge, c’est le mien, à l’intérieur de mon corps, pour l’instant j’ai le sabre vert. Je suis un peu trop gentil ».
Puis, juste avant de tourner les talons pour retrouver le terrain d’échauffement afin de récupérer de sa demie, il avait glissé. « La fatigue des trois tours ? Non je suis très déterminé. Je pense qu’elle va être inhibée ». Déterminé, il le fut à coup sûr. Il n’y avait qu’à voir son regard résolu et la tension de tous ces membres dans les deux cent derniers mètres, uniquement mus vers un seul objectif : franchir la ligne en premier.
En deux jours, Bosse est donc devenu méchant, sur le tartan s’entend. Comment a-t-il fait pour recouvrer ce surcroît d’énergie ?
L’ischio, « tout le temps la galère »
Toujours handicapé par ce souci à l’ischio gauche ayant entraîné moult conséquences sur toute sa chaîne postérieure, il dût prendre « deux anti-inflammatoires en cinq heures » le jour de la demi-finale. « Il avait encore une petite gêne et la prise d’anti-inflammatoires l’a un peu chamboulé. Il n’était vraiment pas bien au départ. Après la demie, il n’en a pas pris. Sa douleur s’estompe et ça le libère complètement » explique Alain Lignier, qui l’entraîne depuis décembre dernier. « Ça a été tout le temps la galère (notamment la préparation terminale). Il n’y a que depuis deux jours que l’on commence à sortir de l’ornière. On arrêtait certaines séances à cause de l’ischio ».
 « Il était cuit samedi » confirme Mehdi Baala, propulsé « directeur de la performance » sur ces Mondiaux, selon les termes de l’encadrement fédéral.

« J’ai un osthéo qui a été incroyable. J’étais très fatigué car j’étais nerveux. L’entraînement que j’ai fait avec Alain me permet de tenir trois tours. Même celui que j’ai fait avec Bruno pendant des années » glisse celui qui s’est construit six ans durant sous la férule de Bruno Gajer, avant de quitter celui-ci à l’issue des Jeux. « Surtout que j’avais prévu un championnat assez lent. Là, tout le monde peut gagner en 1’44’’7. J’étais très nerveux, j’avais du mal à dormir sur ce championnat alors que j’étais censé avoir moins de pression que les autres années. Putain, il m’a fait une séance d’osthéo, avec de l’acupuncture, le truc chinois j’imagine. Grâce à ça, je pense, j’ai dormi comme un bébé pendant deux jours. J’aime trop dormir et quand je n’y arrive pas, je deviens de plus en plus nerveux et c’est un engrenage ».
« On avait dit : “si on vient à Londres, on va en finale ce sera déjà très bien“. On était en finale mais lui c’est un puncheur, un gagneur »
Mardi soir, jour de finale. « Dans la chambre d’appel, il m’a dit : je vais faire un tour de magie.  Il l’a fait » répète à tous les journalistes (tv, radio, presse écrite) Alain Lignier.
« Il a réussi une belle démonstration. C’est la course parfaite. Et il n’était pas encore à 100% de sa forme. Il ne valait pas encore ces 1’42(53), il l’a fait avec ses moyens et une grande intelligence. Il y a deux mois jour pour jour il reprenait l’entraînement après trois semaines d’arrêt. On avait dit : “si on vient à Londres, on va en finale ce sera déjà très bien“. On était en finale mais lui c’est un puncheur, un gagneur. Ça lui tenait vraiment très à cœur. Et en plus on avait un bon karma ».
Pas loin d’une heure trente après sa finale, alors que l’on nettoyait de fond en comble le London Stadium, Bosse arriva dans une zone mixte quasi vide, hormis les journalistes français. Il embrassa Alain Lignier, puis fit une chaleureuse accolade à son pote Jimmy Vicaut. Avant de raconter sa fin de course.
« Il y a eu un voile devant moi, et je me suis senti plus moi-même »
« Quand je les dépasse aux 500 mètres, je me suis mis à leur place et je me suis dit : « qu’est ce qu’ils ressentent à ce moment ? » Je pense qu’ils morflent et ça me plaît. C’est la première fois que je ressens un truc comme ça. Comme si j’avais envie de faire mal aux autres. Je me suis senti guerrier. Ça m’a plu. Pendant 750 mètres, j’étais lucide. Et quand j’ai compris que j’allais gagner, bien avant la fin de la ligne droite, c’était bizarre. Très bizarre. Il s’est passé autre chose. Je ne me suis jamais senti comme ça. Il y a eu un voile devant moi, et je ne me suis plus senti moi-même. C’est pour ça que je me suis senti surpris à l’arrivée, comme si je me réveillais d’un rêve bizarre. Je n’y croyais pas. Il fallait que je me pince plus fort pour comprendre que c’était la réalité. En plus, 200 mètres plus tard, j’étais en train de vomir. Je ne peux pas faire la fête comme Usain Bolt ».
Si, mais pas dans la foulée d’un 800…
Jamais là où on l’attend, il convoque presque Emmanuel Macron –involontairement. « Ce titre, il signifie tout et rien en même temps ». Il développe, et en même temps, il a plutôt raison. « C’est loin d’être fini (sa carrière). Je vais en profiter car je suis un mec qui profite du moment présent ».
On n’imagine pas comment la nuit va se terminer…
Texte : Quentin Guillon.
Photos : Getty Images for IAAF.

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