Athlétisme

Mondiaux de Pékin : le bilan

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Poste Le 31 août 2015 par adminVO2

Voilà plus de vingt ans que la France n’avait pas été si peu prolifique aux Mondiaux. Analyse.
Les chiffres ne mentent pas dit-on souvent. L’axiome n’est pourtant pas valable dans toutes les situations. Deux médailles de bronze. L’équipe de France a enregistré son pire total aux championnats du Monde d’athlétisme depuis…1993 et le zéro pointé de Stuttgart. A cela s’ajoute une 31e place au tableau des médailles. Même un lendemain de cuite peut faire moins de dégâts…
Mais les chiffres sont trompeurs, et de fait biaisés. Car l’avalanche de blessures ayant secoué les Bleus est la première explication à ce résultat -la moyenne tournant autour des 3-4 médailles depuis le double record de 2003 (sept médailles à Paris) et 2005 (huit à Helsinki). « Quatorze athlètes qui avaient le potentiel pour être sur le podium ou être finaliste ne sont pas là » rappelle le président de la FFA Bernard Amsalem.
Notamment Daunay, Lesueur, Calvin, Nana Djimou, Mekhissi, Diniz, Mayer, Tamgho, tous médaillés au niveau européen et/ou mondial (et olympique pour Mekhissi). Forcément, ça n’aide pas.
« Avec 31 engagés (individuels et collectifs relais), on ne pouvait pas faire de miracle » souligne Amsalem. « Mais il y a treize finalistes, soit le même total qu’il y a deux ans (à Moscou) »
Un total flatteur, de même que la proportion de Bleus ayant passé le premier tour (seuls Marion Lotout, le relais 4×100 m féminin, Jeffrey John, Mame-Ibra Anne et Yoann Kowal n’ont pas passé le cut des qualifications) et le classement à la placing table (11e).

Photo Julien Crosnier / KMSP
Photo Julien Crosnier / KMSP
Ces dix jours pékinois ont cependant livré leur lot de déception : si Renaud Lavillenie avait engrangé son premier or mondial, le bilan ne serait pas le même, forcément. Le champion olympique, sans explication apparente (mais le sport, c’est aussi parfois ça), a dû se contenter de la médaille de bronze. Comment l’accabler, au regard de ses exploits passés ?
Trois Français en finale du 110 m haies (Pascal Martinot-Lagarde, Dimitri Bascou et Garfield Darien), ce fut une prouesse historique. Mais les Bleus n’ont pas converti l’essai, face à une concurrence il est vrai féroce –il fallait courir en 13’’04 pour monter sur le podium, le deuxième 110 m le plus rapide de l’histoire des Mondiaux à ce titre.
Le relais, choc des ambitions individuelles et collectives
A cet aune, seul Pascal Martinot-Lagarde en avait les moyens. Mais le recordman de France n’est pas arrivé au top de sa forme à Pékin, par rapport à ce qu’il a démontré par le passé (sa régularité en moins de 13’’10 la saison dernière, et sa perf de pointe à Monaco, 12’’95).
Cette capacité à se transcender lors des grands évènements, c’est ce qui a permis au Russe Sergey Shubenkov de s’emparer du titre planétaire (12’’98). Côté français, un Wilhem Belocian a cette propension de proposer le meilleur lors des rendez-vous qui comptent. Mais le prodige de vingt ans…a déclaré forfait quelques jours avant le rendez-vous. Alors que le 4×400 m féminin, lancé vers le podium, a connu un coup du s(p)ort….
https://twitter.com/philousports/status/637961663522713600
Finalement, la plus grosse déception, en sus de Renaud Lavillenie, est venue du relais 4×100 mètres tricolore, qui avait montré d’excellentes disposition en séries (à neuf centièmes du record de France : 37’’88 contre 37’’79), avant de passer à côté en finale.
La leçon à en tirer ? Prendre conscience du colossal potentiel de ce relais, et mettre tout en œuvre pour que les leaders (Jimmy Vicaut et Christophe Lemaitre) prennent part aux stages organisés dans l’ultime ligne droite de la préparation. Car le relais présente la meilleure chance de médaille pour tous ces sprinteurs. Bien que, comme l’ont relevés samedi Christophe Lemaitre et Jimmy Vicaut, les athlètes s’entraînent d’abord pour eux. Où quand les ambitions individuelles et collectives s’entrechoquent…
« On pensait qu’il suffisait de mettre le maillot de l’équipe de France pour faire une médaille »
Une voix discordante est venue troubler le discours ambiant post-championnat. « Il y a de la colère parce quand on est compétiteurs et on n’aime pas prendre des claques dans la figure. Et j’ai le sentiment qu’on a pris une claque » a distillé dans les entrailles du Nid d’Oiseau le manager des équipes de France Renaud Longuèvre.
« J’ai l’impression que l’on s’est vus un peu trop beaux après les championnats d’Europe de Zurich : on pensait qu’il suffisait de mettre un maillot de l’équipe de France pour faire une médaille. Mais ce n’est pas la réalité. Quand tu vois Renaud Lavillenie qui passe trois fois 5,90 m trois jours avant la compétition, jamais tu ne peux imaginer qu’il va être battu. Mais c’est le piège. Renaud a gagné des concours bien plus difficiles contre Bjorn Otto et (Raphael) Holzdeppe au stade olympique (aux Jeux de Londres) ou même aux Europe de 2012. Pourquoi ? Parce ce n’était pas gagné d’avance. Quand tu commences à te mettre les médailles avant même le début de la compétition, tu perds déjà beaucoup de chances de gagner. C’est çà ma colère » a-t-il développé, avant de poursuivre.
15th IAAF World Athletics Championships Beijing 2015 - Day Eight
Les Bleus ont brillé en séries sur le relais 4×100 m avant de passer à côté de la finale – Photo © Getty Images for IAAF
« Pareil pour le 4×100 m hommes, après les séries. Mais ce n’est pas que les entraîneurs, ni les athlètes qui ne sont que des guerriers. C’est dans l’inconscient psychologique. Ça concerne les médias, le grand public : il ne faut pas se voir trop beau dans le sport. Pourquoi Bolt a-t-il gagné ? Car il s’est senti en danger. Pendant quatre semaines, il s’est senti sous la menace de Justin Gatlin. Il était dans la même position que Renaud au troisième essai, agressé qu’il était par Bjorn Otto (toujours à Londres en 2012). C’est çà que je veux dire. Mais je ne fais aucun reproche à personne, ni à mes coaches, ni à mes athlètes. Et je m’implique dans ce sentiment global. Quand  je coache Kafétien Gomis, je m’en veux autant. Car je connais le bonhomme et quand je vois que la médaille est à 8,18 m, je le vois médaillé. Et c’est çà qui n’est pas bon ».
La nouvelle génération
Renaud Lavillenie n’avait toutefois pas eu besoin d’être dos au mur pour engranger cinq Diamond League consécutives ou trois titres de champion d’Europe (le dernier en date à Zurich l’été dernier) ainsi qu’un titre mondial indoor : il sait être performant le jour J, en atteste son palmarès. Inconsciemment, avait-il le sentiment d’avoir déjà gagné ? Impossible à dire.
La vidéo du 4×400 m féminin :
https://youtu.be/704XI-wCw08
Cette sortie de Longuèvre se révèle ambiguë : si les Bleus n’ont pas grand-chose à « se reprocher », alors pourquoi parler de « colère » ? S’agit-il davantage de frustration au regard du potentiel affiché par les Bleus ? Rappelons que deux Français figuraient sur le podium virtuel avant les Mondiaux : Lavillenie et Martinot-Lagarde. Si certaines contreperformances sont dilués quand tout va bien (au même titre que certaines médailles, d’ailleurs, on l’a constaté à Zurich l’an passé), elles jaillissent sous un jour différent quand tout va moins bien…
Il y a en tout cas eu de belles promesses, dans la foulée des championnats d’Europe jeunes (douze médailles aux Europe espoirs à Tallinn par exemple ; c’est un record). A commencer par Alexandra Tavernier, 21 ans et des nerfs d’acier tant en qualifications qu’en finale pour décrocher le bronze au marteau. Pierre-Ambroise Bosse (lire ici) a mis en relief sa capacité à rebondir, un an après la claque zurichoise. Quant à Rénelle Lamote, passée par toutes les émotions, ses championnats furent en tous points réussis (lire ici). Et l’expérience lui sera très profitable dans l’optique des Jeux de Rio.
Photo DPPI
Photo DPPI
Car c’est l’objectif terminal de tous ces athlètes, comme le DTN Ghani Yalouz l’a rappelé, laissant parfois supposer que ses Mondiaux comptaient peu (gageons que le discours aurait été différent si l’intégralité de l’équipe de France avait été sur pied). « Sincèrement, je ne pense pas que l’esprit des athlètes était tourné vers Rio » a balayé Renaud Longuèvre. « Ils ne sont pas venus en touristes ». Leur engagement en a attesté.
« Le niveau mondial est exceptionnel. Çà aussi, c’est un motif d’espoir. Car d’habitude, on découvre çà aux JO. On se dit : “mince on s’était vus beaux, on croyait qu’on serait performant“ » a glissé Longuèvre, en citant l’exemple de 2003 (7 médailles à Paris) puis des Jeux l’année suivante (2 médailles).
La belle prestation du 4×400 m masculin tricolore :
https://youtu.be/z_25SNQMDAA
Toujours est-il que la vague zurichoise s’est fracassée sur le tertre des blessures, et le ressac a brisé cet élan. Preuve, s’il en fallait une, que rien n’est jamais acquis. « Aucun athlète ne va repartir avec le sentiment d’avoir réussi son championnat. C’est idéal pour construire. J’ai le souvenir de Ladji Doucouré qui tombe sur la dernière haie à Athènes (en 2004). Quand j’ai retrouvé le lascar le 15 octobre pour la reprise de l’entraînement, c’était un autre bonhomme. Et il est devenu champion du Monde derrière (en 2005) » s’est remémoré Renaud Longuèvre. « Tu fais profil bas l’année suivante, tu repars avec beaucoup d’humilité et tu travailles deux fois plus dur à l’entraînement ». En évitant la blessure…
© Getty Images for IAAF
© Getty Images for IAAF
Car si le potentiel tricolore n’a a priori jamais été aussi dense, il faudra au préalable rallier le Brésil en pleine possession de ses moyens. C’est là toute l’insigne difficulté de l’athlétisme : les organismes sont poussés à leur limite, les entraînements à haute intensité sont enchaînés avant des compétitions qui le sont tout autant. Pas sur une saison. Mais sur plusieurs. Le physique : ça aussi, ça fait partie du potentiel d’un athlète, et d’un collectif, par extension.
Cette hécatombe s’apparente davantage à « un concours de circonstances » comme l’a soufflé le médecin des équipes de France Jean-Michel Serra. Y a-t-il des enseignements à en tirer ?
« La grosse difficulté est de savoir se préserver et d’avoir peut-être un peu plus de temps de récupération. Mais c’est toujours difficile sur le plan psychologique, à la fois pour l’athlète et pour l’entraineur, qui se disent qu’on ne produit rien pendant ce temps de repos, alors qu’on sait très bien médicalement que c’est très important ».
« Il faut parfois se donner le temps »
A l’instar d’un Christophe Lemaitre, qui a connu une rechute après les France Elite à Lille (« on en a discuté après avec ses coaches » glissa Serra) où il avait enchaîné quatre courses, un entrelacs d’éléments entrent en ligne de compte : le fil permanent de la blessure sur lequel l’athlète est en équilibre, les sollicitations extérieures (médiatiques notamment, qu’il faut savoir intégrer à sa planification), les primes de courses (à l’engagement et à l’arrivée sur les plus gros meetings, ce qui peuvent impacter certains choix), sans oublier l’objectif ultime de la préparation : être prêt le jour J, ce qui implique de réduire au maximum les délais de cicatrisation en cas de pépin physique.
« Les blessures, ce sont toujours des moments où les athlètes veulent aller un peu plus vite pour revenir. Alors qu’il faut parfois se donner le temps. Et vous (les médias) serez les premiers à dire que les athlètes ne sont pas performants. C’est toujours un peu difficile de connaître la bonne stratégie » note avec acuité Jean-Michel Serra.
Il y a un an, les Bleus paradaient à la Gare de Lyon dans la foulée de leur exploit zurichois. Il n’y avait pas la même foule pour les accueillir aujourd’hui à leur arrivée à  Roissy. Et dans un an ?
Le Kenya en tête du tableau des médailles
Comme l’a souligné Renaud Longuèvre, ces 15e Mondiaux furent d’une rare densité de performances (et de finish canons en demi-fond : Dibaba ; Ayana ; Farah, Kiprop). Et les plaques tectoniques de l’athlé ont bougé avec l’apparition du Kenya en tête du classement des médailles (7 médailles d’or, 6 d’argent et 6 de bronze, 16 médailles au total) en dépit d’une première journée manquée avec un historique raté sur le marathon masculin (lire ici). Sur les quatre dernières éditions, le Kenya avait terminé trois fois troisième et une fois quatrième au tableau des médailles (13 médailles en 2007, 11 en 2009, 17 en 2011 et 12 il y a deux ans). Simplement, lors de ces Mondiaux 2015, les athlètes des haut plateaux ont récolté plus d’or, notamment dans des épreuves où ils ne sont pas accoutumés à briller (400 m haies, javelot).
Kiprop, l'un des sept médaillés d'or kényans - Photo © Getty Images for IAAF
Kiprop, l’un des sept médaillés d’or kényans – Photo © Getty Images for IAAF
La Jamaïque a terminé 2e (7 or et 12 médailles au total) devant les USA (6 or et 18 médailles), qui ont enregistré leur plus mauvais résultat depuis douze ans. « Le reste du monde est de plus en plus compétitif, et c’est quelque chose que nous ne prenons pas à la légère » a déclaré au New York Times Jill Geer, porte parole de la Fédération américaine (USATF).
Chez elle et poussée par son public, la Chine a fait mieux que se défendre avec neuf médailles (une en or). « La Chine va jouer un grand rôle dans le développement de notre sport » a souligné le tout nouveau président de l’IAAF, Sebastian Coe, entré en fonction ce lundi 31 août.
Décapitée après les affaires de dopage, la Russie émerge au 9e rang (deux or, quatre médailles), plus mauvais total de son histoire aux Mondiaux (17 médailles dont 7 en or à domicile en 2013). Le dopage, véritable serpent de mer de ces championnats, à l’image de ces ex-dopés de retour au top (Justin Gatlin, LaShawn Merritt par exemple). On parle de médailles, de records, de niveau de performance exceptionnel. Mais comme nous l’écrivions en amont de ces championnats (lire ici), les cartes seront peut-être (sans doute ?) rebattues dans quelques mois, au pire quelques années…
Photo de une : Julien Crosnier / KMSP.

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