Athlétisme Cross Country Route Trail

La course à pied, un phénomène décrypté

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Poste Le 27 mars 2015 par adminVO2

Le premier sommet de la course à pied, organisé par la Fédération Français d’Athlétisme (FFA) et SLEvents (le pôle évènement du groupe LGS, Le Group Sportlab) et qui s’est tenu mercredi 25 mars à la maison des travaux publics à Paris, a donné lieu à de constructifs débats sur l’actuel phénomène de société que représente la course à pied.
Ce colloque a trouvé son origine dans l’étude diligentée par la FFA et menée par l’agence Sportlab (1), qui avait pour but de davantage connaître les coureurs hors stade, identifier leurs besoins pour ensuite répondre à leur demande. En somme, comprendre le phénomène course à pied, cerner les pratiques actuelles et les nouvelles tendances du « running », qui implique moult acteurs (organisateurs, équipementiers, prestataires de services, médias, chercheurs, coureurs évidemment etc…). Faire le constat et anticiper sur la course à pied de demain, dont l’économie est en plein essor.
Le débat a d’ailleurs été rapidement posé, dans un contexte influencé par la polémique sur la taxation sur les courses hors stade, éteinte d’emblée par le président de la FFA Bernard Amsalem (lire ici). « Le gâteau est énorme et il peut être partagé à plusieurs » a ainsi lancé le président de LGS, Loïc Yviquel.
En effet, un Français sur cinq déclare pratiquer la course à pied en 2014 selon l’étude réalisée, ce qui représente 9,5 millions de personnes, parmi lesquels 5,7 millions de coureurs réguliers (au moins une fois par semaines). Le marché est donc juteux.
Six tables rondes étaient organisées tout au long de la journée. Il fut d’abord question de l’impact du sport sur les politiques publiques : comment les collectivités territoriales et l’Etat peuvent accompagner, encadrer et structurer le phénomène de la course à pied, dont l’étude souligne que 39% des pratiquants le sont depuis seulement deux ans ?

« L’ère du sport désintermédié »

Patrick Bayeux, consultant en politique sportive et maître de conférence en gestion et droit du sport, a dans un premier temps souligné que le postulat en vigueur entre les années 1970 et 2000, selon lequel le sport loisir était pris en charge par des opérateurs privés (soit le sport qui « rapporte » par opposition au sport qui « coute », celui-là étant pris en charge par l’Etat et le collectivités territoriales), était remis en question, face à la pression de la demande sociale.
Ainsi, Patrick Bayeux a relevé que de  plus en plus de complexes sportifs étaient ouverts vers d’autres individus que les clubs.

1ère table ronde (Photo KMSP / Stéphane Kempinaire)
1ère table ronde (Photo KMSP / Stéphane Kempinaire)
« Pendant des décennies, le sport a été organisé par l’école, les municipalités, ou les clubs. Nous sommes maintenant entrés dans une ère du sport désintermédié » abondait l’adjoint aux sports (et au tourisme) à la mairie de Paris Jean-François Martins. « La pratique du sport est de plus en plus libre et individuelle. On doit donc repenser la manière de voir nos équipements sportifs, l’aménagement de l’espace public pour la pratique sportive. On va également vers des équipements mixtes, pas que dédiés au running, avec des agrès fitness et “workout“ ».
La course à pied prise en charge par la Sécu ?
Patrick Bayeux a ensuite mis sur la table une question qui va se poser avec davantage d’acuité dans les années futures : à moyen et long terme, la course à pied peut-elle être prise en charge par la Sécurité Sociale ou les complémentaires santés, au regard des effets positifs générés par la pratique ?
On constate ainsi que de plus en plus de personnes atteintes de pathologies se lancent dans la marche nordique ou la course à pied, par le truchement des licences athlé santé (environ 10 000 à ce jour).
« Bien sûr que l’on doit aller sur ce terrain là » a répondu le secrétaire d’Etat aux sports Thierry Braillard. « Mais il faut déjà assurer la protection du sportif qui se lance. La FFA doit prendre en compte la manière d’encadrer tous ces pratiquants, qui ont besoin de conseils. Dans cette démarche de sport santé, c’est une obligation essentielle».
Des expérimentations de prise en charge des licences sont en cours, à Strasbourg ou Blagnac, alors que la mutuelle du sport vient de lancer une initiative de prise en charge avec la MAIF (lire ici).
Toujours est-il que l’enjeu de la santé publique est particulièrement prégnant : en 2014, selon l’étude, 94% des neuf millions et demi de coureurs sont tout à fait d’accord ou plutôt d’accord avec la phrase suivante : « je cours parce que c’est bon pour la santé », alors que selon la première étude de 2013, 58% des coureurs ont débuté leur pratique « pour être en bonne santé ».
Roselyne Bachelot et Stéphane Diagana (Photo KMSP / Stéphane Kempinaire)
Roselyne Bachelot et Stéphane Diagana (Photo KMSP / Stéphane Kempinaire)
Stéphane Diagana s’est remémoré : « Aux Etats-Unis, le boom du running correspond aux Jeux de 1984 à Los Angeles, avec la victoire de l’Américaine Joan Benoit (sur marathon, ndlr). A cette époque, outre-Atlantique, la communauté médicale était partagée : certains pensaient qu’on allait vers un problème de santé publique avec tous ces coureurs isolés, d’autres pointaient déjà les bienfaits à long terme. Les études menées par l’université de Stanford pendant vingt ans depuis 1984 ont permis de montrer aujourd’hui, avec le recul, que le taux de mortalité est par exemple deux fois moins élevé chez un groupe qui a commencé à courir cette année-là que chez le groupe témoin qui n’a pas pratiqué le running. Donc, oui, courir permet d’être en meilleure forme ».

Bernard Amsalem : « Nous voulons simplement être un wagon du train. On ne va pas marcher sur les plates-bandes de ceux qui sont déjà présents dans certains types de course »

Il fut ensuite demandé à Bernard Amsalem pourquoi la Fédération n’exerçait pas sa délégation concernant pléthore de course hors stade. Le président de la FFA a rappelé que la Fédération avait raté le phénomène du running débuté à l’orée des années 1970. Un retard qu’elle souhaite désormais combler. « Nous avons fait cette étude non pas pour reconquérir tout le marché –c’est illusoire de le penser -, mais simplement pour devenir un acteur. Il y a plusieurs solutions, comme devenir un organisateur de course, ce que nous faisons sur un trail à Gap (la Gapen’cimes, ndlr) ».
Relancé alors sur la question de la concurrence avec les autres organisations, Bernard Amsalem a précisé : « Nous voulons expliquer que nous sommes un acteur, avec les autres. On veut être simplement un des wagons du train. Quand le trail a commencé à se développer très fortement  il y a une dizaine d’années, j’ai réuni une vingtaine d’organisateurs de trail qui était tous contre la Fédé. Finalement, par le dialogue on a fini par créer le TTN (Trail Tour National, ndlr). On a l’idée de créer un circuit d’Ekiden en France. L’Ekiden n’est pas très développé. On ne va pas marcher sur les plates-bandes de ceux qui sont déjà présents dans certains types de course ».

Bernard Amsalem (Photo KMSP / Stéphane Kempinaire)
Bernard Amsalem (Photo KMSP / Stéphane Kempinaire)
Quant au fait que la majorité des courses ne sont pas organisées par des clubs affiliés à la FFA (seules environ 600 sur 9 000 le sont), le président de la FFA a indiqué : « On a la responsabilité de veiller à l’harmonisation du calendrier au travers du décret hors stade (2), on doit garantir la sécurité des organisations. Tous ceux qui organisent et n’appartiennent pas à la Fédération se reposent sur des clubs, des ligues, de la Fédération. Sauf qu’il n’y a pas de lien entre ceux qui organisent et la Fédération. Ils ont besoin de nous : sans nous, ils n’auraient pas de bénévoles. Ça couterait plus cher et je pense que le business serait moins intéressant. Je pense qu’il faut qu’on trouve un accord intelligent et qu’on travaille ensemble ».
La question du statut du bénévole a de fait été abordé : faudra t-il créer un statut spécifique pour ces personnes, chevilles ouvrières des manifestations sportives, afin de valoriser leur investissement ?

« Comment on accompagne les runners, comme on répond à la demande ? »

La problématique principale a été résumée par Yann Le Moenner, directeur général d’ASO (Amaury Sport Organisation), qui organise –entre autres- le marathon de Paris, pour lequel le record d’inscriptions va être battu pour l’édition 2015 avec 54 000 coureurs. « Comment on accompagne les runners, comme on répond à la demande ? Peut-être que l’offre traditionnelle ne correspond pas à ce qu’ils veulent. L’organisation n’est pas forcément votre (la FFA) métier ».
« Nous organisons 42 championnats de France, le meeting Areva. Nous organisons et nous savons organiser » a rappelé Bernard Amsalem. « Nous intervenons aussi sur les quartiers sensibles avec l’Urban Athlé (lire ici). Nous souhaitons vous rencontrer davantage, pour se compléter, travailler ensemble et améliorer le service »
Pour construire ce lien, des pistes sont justement à l’étude (lire ici).

« Il ne faut jamais s’endormir »

Parmi les quelques dix millions de coureurs, 17% avait participé en 2014 à au moins une course. De nouveaux formats sont apparus (« Fun races », courses à obstacles etc…). Si certaines courses sur  route sont en difficulté, ce n’est pas le cas de beaucoup d’entre elles. Et les grandes classiques font toujours autant le plein, à l’instar de Marseille-Cassis (qui rentre 15 000 dossards en quelques dizaines de minutes), le marathon ou le semi-marathon de Paris, les 20 km de Paris, le marathon de Bordeaux qui vient de se lancer avec 18 000 inscrits pour la première édition sur les quatre épreuves au programme (ces courses là profitent également de l’attrait des villes où elles se déroulent), sans oublier les courses plus régionales mais qui attirent (les foulées de Bayeux récemment, par exemple).
Preuve qu’il y a de place pour tout le monde. Peut-être un peu moins pour les cross, en nette perte de vitesse à l’exception de quelques grosses épreuves. Mais peut-être faut-il davantage innover pour coller aux aspirations de nouveaux pratiquants, pour relancer la discipline sans pour autant tout « trahir » son caractère ?

Table ronde 2 : "les évènements font leur révolution" (Photo KMSP / Stéphane Kempinaire)
Table ronde 2 : « les évènements font leur révolution » (Photo KMSP / Stéphane Kempinaire)
« Il ne faut jamais s’endormir » a expliqué Jean-Philippe Allaire, responsable de la communication et partenariat des 20 km de Paris, lors de la deuxième table ronde, intitulé « Les évènements font leur révolution ». « On s’est professionnalisés et on veut garder notre état d’esprit, tout en innovant. Nous avons créé un hymne pour la course, les ravitaillements sont 100% bio. On va aussi lancer cette année une plateforme d’échange de dossards, officiel et correct pour le point de vue de la législation ».

Nouvelles technologies et expériences

Les nouvelles technologies prennent une part prépondérante et s’inscrivent pleinement dans le phénomène running, à l’image des T-Shirts intelligents (on vous en parlait dans le numéro 237 de VO2 Run). On pourra bientôt parler de « marathon connecté » a glissé Yann Le Moenner.
Des initiatives émergent, à l’instar de Checkpointsrace, qui se veut « la première compétition mondiale de running connecté qui vous permet de créer une équipe avec qui vous voulez, et de rejoindre la compétition quand vous le souhaitez ».
« Nous ne sommes pas issus du milieu du running et c’est un complément d’expérience » a précisé le cofondateur François André.
Ces nouvelles technologies modifient également la perception de la discipline. Courir est « une expérience unique » que les coureurs veulent « partager » relevait Yann Le Moenner. « Il y a 500 000 membres actifs sur ASO Challenge (plateforme lancée en 2012 ; regroupe de sportifs issus de la course à pied, du cyclisme, de l’outdoor et de l’aventure, dont 70% de coureurs, ndlr) qui ne  demandent qu’à être nourris d’expérience. C’est deux fois plus que le nombre de licenciés de la Fédération (269 402 au 25 janvier 2015, ndlr). Il y a des choses à faire ensemble pour amener le plus de participants vers les clubs. La volonté est sincère. Si je décide de m’inscrire dans un club : quels avantages, quelle offre je vais avoir ? » s’est-il interrogé.
La plateforme « J’aime courir » -en lieu et place de « jesuisuncoureur.com » qui vient d’être lancée par la FFA est un élément de réponse, parmi les autres pistes envisagées.
Des pistes qui se seront formalisées dans un an, et il sera de nouveau temps d’analyser cet écosystème en mutation à l’occasion d’une seconde édition d’un sommet parti sur de bonnes bases (avec peut-être la présence de quelques coureurs ?).
blog-SOMMET-CAP
(1) L’étude a été réalisée en deux fois : une première vague d’étude online s’est effectuée en septembre 2013, auprès d’un échantillon global de 3 010 individus et 577 pratiquants course à pied  (299 coureurs réguliers : au moins une fois par semaine ; 278 occasionnels : moins d’une fois par semaine).
Une seconde vague online a été réalisée en octobre 2014 auprès de 1002 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus selon la méthode des quotas (parmi ses 1 002 Français constituant l’échantillon, il y a 197 pratiquants et 118 pratiquants réguliers).
(2) Le décret du 5 mars 2012 (ici) relatif aux manifestations sportives sur les voies publiques a modifié plusieurs articles du Code du Sport relatifs à l’organisation des manifestations sportives, notamment les articles Article R331-9 et Article R331-9-1 : Si « toute personne souhaitant organiser une manifestation soumise à autorisation doit recueillir l’avis de la fédération délégataire concernée. Celle-ci rend un avis motivé au regard des règles techniques et de sécurité mentionnées à l’article R. 331-7 », la demande d’autorisation de la manifestation est soumise « au préfet de chacun des départements traversés par la manifestation ».
Photo de une : Yves-Marie Quemener

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