Athlétisme Dopage

Quand la Ligue de Diamant s’enflamme…

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Poste Le 18 mai 2015 par adminVO2

La première étape de la Ligue de Diamant, vendredi 15 mai à Doha au Qatar, a été le théâtre de performances exceptionnelles pour un début de saison. Et notamment les 9’’74 d’un certain Justin Gatlin sur 100 mètres…
Les championnats du Monde de Pékin s’ouvrent dans un peu plus de trois mois (22-30 août). Mais la planète athlé est déjà en ébullition. Un concours de triple saut historique, avec pour la première fois de l’histoire deux sauteurs à plus de 18 mètres (Pedro Pablo Pichardo, vainqueur avec 18,06 mètres devant l’Américain Christian Taylor, 18,04 m, respectivement troisième et cinquième performeur de tous le temps, alors que Teddy Tamgho s’est de nouveau gravement blessé), une Allyson Felix canon sur 200 m (21’’98, voilà près de trois ans que ça n’était pas allé si vite sur la distance – Allyson Felix elle-même) et surtout les 9’’74 sur 100 m de Justin Gatlin, nouveau record personnel et 8e chrono de tout le temps.
Comme un air de bis repetita. En 2006, l’Américain, champion olympique sur la ligne droite en 2004, avait couru en 9’’77, égalant alors le record du Monde d’Asafa Powell…avant de voir sa performance annulée pour un contrôle positif aux stéroïdes.
L’histoire ne dit pas (encore ?!) si Gatlin verra son chrono de Doha 2015 annulé dans un futur proche. Mais ce qu’elle dit, en revanche, c’est que l’on peut courir plus vite propre, que dopé, si l’on s’en tient stricto sensu aux faits. Y’a comme un problème, non ?
https://youtu.be/hcYJXY1Cz1Y
Ainsi, de quelle manière faut-il traiter ce genre de performance ?
S’insurger, au risque de passer pour briseur de rêve du duel promis pimenté entre Gatlin et Usain Bolt (le spectacle prévalant dès lors devant toute autre considération d’éthique et de valeurs soi disant véhiculées par le sport) ? (1)
Ne pas en parler (une gageure quand tout le monde en parle et que la performance est majuscule, et ce qui revient à se délester un peu lâchement du problème) ?
Ou bien dans un élan d’effronterie, et sans risquer le faux départ (ni le contrôle positif aux psychotropes),  faut-il saluer la performance, c’est-à-dire carrément croire à la rédemption d’un champion au mental en acier trempé (en arguant par exemple que chacun a le droit à une seconde chance – à l’image de ces individus qui sortent de prison) ?
Oui, tout le monde a le droit à une seconde chance. Mais dans cas, il faudra nous expliquer rationnellement comment il est possible de courir plus vite sans dopage, qu’avec.
Il faudra nous expliquer comment il est possible de croire, a fortiori quand on a été soi-même suspendu, à un chrono vous plaçant 5e sprinteur de tous les temps dans une épreuve décapitée par les affaires, où 7 des 10 meilleurs hommes de l’histoire sur 100 m ont été rattrapés par les instances antidopage (2).
Il faudra nous expliquer comment il est possible d’aller encore plus vite au fil des ans (Gatlin a 33 ans), quand votre entraîneur Dennis Mitchell indique dans L’Equipe, sibyllin et abscons : « Physiquement, il ne s’améliorera plus. Je l’ai pris à trente ans en 2012, sa force était là. Le défi était d’amener son intelligence, sa compréhension de ce qu’il fait techniquement, stratégiquement, mathématiquement, émotionnellement, au niveau de ce physique ». Le pouvoir des mots, sans doute…

Le poison de la suspicion

Le souci, c’est qu’à force, chaque chrono qui sort des canons de l’ordinaire–et pas qu’à l’étranger, dans l’Hexagone aussi- soit enveloppé du poison de la suspicion (n’est-ce d’ailleurs pas déjà le cas ??).
Ainsi de l’explosion des chronos sur marathon, ainsi de ce 5 000 m de folie de l’Ethiopienne Almaz Ayana, dont la facilité fut déconcertante après avoir couru les derniers 3 km en solo, dimanche 17 mai à Shanghai. 14’14’’32 au final, ce qui représente le 3e chrono de tous les temps à trois petites secondes du record du Monde de Tirunesh Dibaba.
https://youtu.be/0cQLmWUcPg4
Et qu’in fine, le public se détourne de ce spectacle il est vrai parfois nauséabond, quand on sait ce que d’aucuns sont capables pour glaner des médailles (l’exemple prégnant de la Russie est à lire ici).
Mais à rebours, avec un entraînement de très haut niveau et calibré, l’appétence pour la compétition, la capacité à se transcender dans les rendez-vous d’importance, il est possible de réaliser de grandes performances.
Cependant, comment démêler le vrai du faux ? Inévitablement, tous ces éléments se mêlent, inextricables ; et viennent poser le voile du doute.

Suspension à vie

Parmi les solutions, militer, inlassablement, pour un durcissement des sanctions (qui sont désormais de quatre ans pour les produits lourds). C’est-à-dire la suspension à vie (pour à la fois contraindre, et éviter que des athlètes dopés un jour reviennent ensuite « proprement », mais profitent des effets de leur dopage d’alors ; tout en trouvant des moyens de « resocialiser » ces athlètes suspendus), alors qu’il faudrait inscrire dans le marbre la restitution des primes indues et volées. Il faudrait aussi s’interroger sur le choix de certains sponsors de signer des athlètes au passé trouble –la marque à la virgule dans le cas de Gatlin.

Justin Gatlin aux Mondiaux de relais début mai aux Bahamas - Photo © Getty Images for IAAF
Justin Gatlin aux Mondiaux de relais début mai aux Bahamas – Photo © Getty Images for IAAF
Pour se rassurer, on peut se dire que des lanceurs d’alerte existent (lire ici).
On peut aussi se dire qu’à Shanghai, Mutaz Essa Barshim a stoppé son concours de hauteur une fois sa victoire acquise, à 2,38 m, face à l’Ukrainien Bohdan Bondarenko. Pourquoi n’a-t-il pas tenté de franchir 2,41, avant de pourquoi pas s’attaquer au record du Monde, comme maintes fois depuis un an et demi ? Pour se préserver pour la suite de la saison, a t-il expliqué.
Apaisant, oui. La marque de Javier Sotomayor tiendra encore quelques semaines (ou mois). Javier Sotomayor ? Recordman du monde de la hauteur en 1993 avec un saut à 2,45 m, il fut positif en 1999 à la cocaïne et suspendu deux ans (ramené finalement à un an).
Ahhh ! Le boomerang revient en pleine face… S’en sortira t-on !?
(1) A ce propos, quelle valeur justement accorder aux médailles récupérées après disqualification ? Suite à la suspension de Tyson Gay, le 4×100 m américain a perdu sa médaille des JO de Londres en 2012. Ce qui fait que le 4×100 m français va récupérer la médaille de bronze, presque trois ans plus tard. Quelle valeur a donc cette médaille de bronze olympique ? La joie, le partage collectif, puis au niveau des retombées, de la notoriété et de la visibilité auprès des sponsors, des collectivités pour d’éventuels partenariats, que reste t-il, trois ans après…
«Certains vont dire : “Il fait le malin, il crache dans la soupe?!”, on va me critiquer mais je n’aurai jamais la sensation qu’elle est à nous. Trois ans après, c’est trop tard. Recevoir ça dans une boîte aux lettres, sans les émotions du podium, ça ne m’intéresse pas. C’est du passé, c’est derrière nous, je suis passé à autre chose » soulignait ainsi Jimmy Vicaut à L’Equipe.
(2) Le top 10 de tous les temps sur 100 m (par athlète) :

  1. Usain Bolt, 9’’58 (2009)
  2. Tyson Gay, 9’’69 (2009 ; suspendu un an en 2013-2014 – stéroïdes)
  3. Yohan Blake, 9’’69 (2012 ; suspendu trois mois en 2009 -stimulant)
  4. Asafa Powell, 9’’72 (2008 ; suspendu six mois en 2014 – stimulant)
  5. Justin Gatlin, 9’’74 (2015, suspendu quatre ans –stéroïdes- de 2006 à 2010, après une suspension d’un an en 2002)
  6. Nesta Carter, 9’’78 (2010)

6.. Tim Montgomery, 9’’78 (2002 ; deux ans de suspension en 2005, performances annulées depuis le 31 mars 2001)

  1. Maurice Green, 9’’79 (1999)
  2. Ben Johnson, 9’’79 (1988 ; performance annulée après un contrôle positif au stanozolol : suspendu deux ans puis à vie en 1993).
  3. Steve Mulllings, 9’’80 (2011 ; suspendu à vie).

 
Les chronos de Montgomery et de Johnson ont été annulés et ne figurent de fait plus dans le bilan tout temps de l’IAAF.
Photo de une : © Getty Images for IAAF.

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