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La Fédération russe et l’IAAF dans la tourmente

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Poste Le 10 décembre 2014 par adminVO2

Plusieurs révélations, émanant du quotidien L’Equipe et de la chaîne allemande ARD, par le biais de son journaliste Hajo Seppelt, secouent actuellement l’athlétisme russe, et par ricochet mondial. Le point.
Sans comptabiliser les procédures en cours, 68 athlètes russes sont officiellement et actuellement suspendus à la suite de contrôles positifs ou d’anomalies présentes sur leurs passeports biologiques, selon la dernière liste publiée par l’IAAF (la Fédération internationale), le 4 décembre dernier. Un chiffre ahurissant. L’IAAF peut donc se targuer de mener une lutte antidopage efficace (en collaboration avec l’AMA, l’Agence Mondiale Antidopage), en atteste également les résultats obtenus lors des derniers championnats d’Europe plein air, par exemple (les Russes ont récolté 12 médailles d’or en 2006, 10 en 2010, 4 en 2012 et 3 l’été dernier à Zurich).
L’athlétisme russe est cependant secoué par une affaire de grande ampleur, qui pourrait par ricochet salir l’IAAF, suite à des révélations de L’Equipe, puis de la chaîne allemande ARD, entraînant ensuite moult réactions.
 

450 000 euros pour qu’une marathonienne s’aligne aux JO ?

 
A l’origine, un agent russe, Andreï Baranov a déposé une plainte auprès de la commission d’éthique de l’IAAF, nous apprend L’Equipe daté du 3 décembre dernier. Baranov est en fait l’agent de Lilia Shobukhova, victorieuse des marathons de Londres (2010), Chicago (2009, 2010 et 2011) et deuxième meilleure performeuse mondiale de l’histoire sur la distance avec 2h18’20’’ (Chicago 2011) derrière les inatteignables 2h15’25’’ de Paula Radcliffe (Londres 2003).
Shobukhova fut suspendue en avril dernier en raison d’anomalies présentées par son passeport biologique (elle ne figure pas sur la liste des athlètes étant actuellement suspendus puisque l’IAAF a réalisé un recours devant le TAS dans le but d’alourdir la sanction à quatre ans).
Baranov a saisi la commission d’éthique de l’IAAF en expliquant la manière dont la Fédération russe d’athlétisme (ARAF) a tenté de blanchir la marathonienne. En décembre 2011, explique L’Equipe, l’ARAF aurait demandé à Lilia Shobukhova 450 000 euros pour que la Fédération russe l’aligne aux JO de Londres quelques mois après. Ce que la marathonienne aurait fait.
Dans un reportage diffusé le 3 décembre sur la chaîne allemande ARD et intitulé : « Dopage top secret : comment la Russie fabrique ses champions », le journaliste Hajo Seppelt (qui s’était fait connaître en mettant au jour la facilité pour se procurer des produits interdits au Kenya) explique qu’à ce moment, la Fédération russe savait déjà que le passeport biologique de Shobukhova présentait des anomalies, anomalies vues par l’IAAF comme une violation des règles antidopage.
L’affaire remonterait jusqu’au président de la Fédération russe, également trésorier de l’IAAF
Shobukhova souligne que c’est Alexey Melnikov, un entraîneur national, qui aurait demandé l’argent. D’après Shobukhova, elle et son mari, Igor Shobukhov, se seraient ensuite vu dire que « tout serait ok ».
A Londres en 2012, elle abandonna puis prit en octobre suivant la 4e place au marathon de Chicago, avant de devenir maman en 2013. Mais cette année, en 2014, lorsqu’elle veut revenir à la compétition, l’ARAF « l’aurait alors pressée de signer un papier acceptant une suspension » relève L’Equipe.
Ce que l’athlète aurait refusé, demandant le remboursement des 450 000 euros déboursés. Elle n’en aurait obtenu que 300 000. Hajo Seppelt possède le mail de confirmation de ce versement, sur lequel apparaît notamment le nom de Valentin Balakhnichev, ancien coureur de 110 m haies, président de la Fédération russe depuis 1991…et trésorier de l’IAAF depuis 2011 (voir son CV complet ici).
Cet argent, dans les mains donc de la Fédération russe, aurait servi à corrompre l’IAAF, selon l’agent russe Baranov.

« Vous devez vous doper »

 
Ce documentaire de l’ARD accuse la Russie d’avoir mis en place un système de dopage, impliquant athlètes, coaches, dirigeants russes et même autorités antidopage du pays avec la volonté de dissimuler ces cas positifs. Sans oublier les pots-de-vin versés (le système ne paraît pas aussi sophistiqué que la RDA par exemple, lire ici).
 « Vous ne pouvez pas avoir les résultats que vous obtenez, du moins en Russie, sans vous doper. Vous devez vous doper (…). Les entraîneurs et dirigeants disent clairement que vous ne pouvez pas faire aussi bien en utilisant vos capacités naturelles. Vous devez avoir de l’aide pour glaner des médailles. Et cette aide, c’est le dopage, les substances interdites ». Ses propos éloquents ont été tenus à l’ARD (le reportage est à visionner en allemand ici, voir le communiqué de presse de la chaîne traduit en anglais ici) par Vitaliy Stepanov, un ex employé de l’agence de dopage russe (RUSADA). C’est la première fois qu’il s’est exprimé face caméra.

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Maria Savinova – Photo Gilles Bertrand
Sa femme, l’athlète Yuliya Stepanova (ex Rusanova), qui purge actuellement une suspension de deux ans en raison d’anomalies sur son passeport biologique (jusqu’au 27 janvier 2015) et qui fut l’une des meilleurs athlètes mondiales sur 800 m (1’58’’99 en 2009 ; 1’58’’14 en 2011 en indoor ; 6e des Mondiaux indoor 2012 et 3e des Europe indoor 2011 à Paris  avant disqualification), accuse le système sportif russe de fraude générale. « Les athlètes ne pensent pas qu’ils font quelque chose de mal lorsqu’ils prennent des substances interdites. Les entraîneurs prennent n’importe quelle athlète, lui donne des comprimés en lui disant : “Oui, prend ça, tout le monde prend ces substances“. Et quand elle est attrapée, ils jettent l’athlète et en prenne une nouvelle ».
Stepanova a réalisé de nombreux enregistrements audio et vidéo qui viennent étayer ses propos, et les a confiés à l’ARD. Ces enregistrements prouvent l’implication d’un entraîneur national, Alexei Melnikov, qui n’a pas souhaité répondre à l’ARD.
L’athlétisme n’est pas le seul sport touché
Filmée  à son insu, Maria Savinova (championne du Monde 2011, championne olympique 2012) parle de ses pratiques dopantes, alors que l’on voit dans le reportage son coach Vladimir Kazarin donner des comprimés (oxandrolone, un stéroïde anabolisant) à d’autres athlètes.
Surtout, Vitaly Stepanov explique pourquoi certains athlètes russes sont positifs, et d’autres non : « J’ai clairement pu voir comment des dirigeants s’assuraient que certains athlètes n’aient pas été contrôlés positifs (alors que leurs échantillons l’étaient). Cela existe aussi en natation, cyclisme, biathlon, haltérophilie et ski de fond ». L’ARD indique aussi que les athlètes russes utilisent des faux noms lorsqu’ils sont à l’étranger, notamment en stage, pour éviter les contrôles positifs.
Commission d’éthique indépendante
Dans un premier communiqué de presse, mis en ligne le jeudi 4 décembre (lire ici), l’IAAF a réagi en soulignant que la commission éthique de l’IAAF menait actuellement une enquête suite aux allégations faites dans le documentaire. « Nous tenons à souligner que la Commission d’éthique est complètement indépendante de l’IAAF (voir sa composition ici, ndlr) et a tout pouvoir pour enquêter et émettre des sanctions lorsque nécessaire (…) En ce qui concerne les autres questions soulevées dans le documentaire relatives à la lutte contre le dopage, elles ne relèvent pas de la Commission d’éthique et seront étudiées et traitées en interne avec le plus grand soin, en pleine coopération avec l’AMA ». L’Agence Mondiale Antidopage a elle aussi annoncé avoir diligenté une enquête de son côté.
Un second documentaire a été diffusé par l’ARD, dimanche 7 décembre, mettant en évidence la possible implication des dirigeants de l’IAAF, confirmant ainsi les interrogations de L’Equipe (qui cite des réunions entre Valentin Balakhnichev, Habib Cissé, conseiller juridique de l’IAAF, et Papa Massata, fils du président de l’IAAF Lamine Diack).
Un second communiqué de presse fut alors mis en ligne par l’IAAF (lire ici), dimanche 7 décembre, indiquant qu’une transcription en anglais a été fourni à la commission d’éthique, qui a « déjà commencé son enquête », alors que les personnes citées dans les reportages devront « répondre des allégations faites contre chacune d’entre elles ».
 

L.Diack : « Si on a une situation qui nous amène à sanctionner une Fédération pour des motifs aussi graves, on le fera »

 
De son côté, le président de la Fédération russe et trésorier de l’IAAF Valentin Balakhnichev a réagi aux allégations de dopage répandu et les dissimulations afférentes en les qualifiant de « tissu de mensonges ». Le ministre des sports Vitaly Mutko les a également rejetées,  tout comme le patron de l’agence antidopage russe (RUSADA), Nikita Kamaev, qui a ensuite indiqué que la RUSADA allait mener sa propre enquête par le biais d’un communiqué de presse (lire ici).
Les réactions se sont multipliées, notamment de deux des quatre vice-présidents de l’IAAF, Sebastian Coe et Sergueï Bubka, que l’on devrait retrouver l’année prochaine en campagne pour la présidence de l’IAAF (on vous en parlait ici).
Mercredi 10 décembre, l’actuel président de l’IAAF, Lamine Diack (en poste jusqu’en aout prochain) a réagi dans une interview accordée à L’Equipe, depuis Monaco où il se trouve à l’occasion de la 127e session du CIO (il en est membre depuis 1999), alors que la veille, un 3e communiqué a été mis en ligne par l’IAAF, rappelant notamment l’historique de la mise en place du passeport biologique, preuve que la Fédération internationale tente de réagir par tous les moyens.
« J’ai des mesures à prendre en tant que président avec le comité exécutif ou avec le conseil, s’il le faut. On les prendra d’ici la fin de la semaine (…) Si on a une situation qui nous amène à sanctionner une Fédération pour des motifs aussi graves, on le fera. Mais on n’anticipe pas » a notamment déclaré Lamine Diack tout en précisant que la commission d’éthique de l’IAAF était indépendante de la Fédération elle-même, avant d’ajouter. « On fera la lumière sur ça. Laissez-nous tirer au clair toutes ces histoires ».
A suivre, donc…
Photo de Une Jiro Mochizuki

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