Nutrition et surentraînement
Surentraînement et nutrition : voilà deux termes rarement associés. Et pourtant… le surentraînement est par définition la traduction d’une désadaptation progressive de l’organisme face aux sollicitations physiologiques. Mais quel peut être le rôle de la nutrition dans cette désadaptation ?
De l’adaptation au surentraînement
L’expression « quand ça fait mal, c’est que ça fait du bien » est bien connue du peloton sportif quand on évoque la notion d’entraînement. Le sportif serait-il alors un masochiste perpétuellement insatisfait … ? N’ayant aucune prétention à pouvoir répondre à cette question du registre du second degré et quoiqu’on en dise, la sollicitation physiologique demeure nécessaire pour permettre à tout sportif de voir ses performances s’améliorer. En effet, la performance peut se définir par « l’optimisation de toutes les fonctions physiologiques ayant répondu favorablement aux adaptations attendues de l’entraînement ». En clair, il faut solliciter l’organisme en dehors de sa zone de confort pour lui permettre de devenir plus performant, plus endurant, plus résistant ou encore plus puissant.
Toute la difficulté réside alors dans la quantification de la fatigue nécessaire à l’amélioration des performances et dans la détermination des périodes de récupération adaptées en conséquence. En effet si les capacités physiques peuvent croître rapidement et de manière significative chez un sportif occasionnel, l’optimisation des performances chez un athlète de haut niveau exige quant à elle un investissement considérable, pour un résultat quantitativement peu important. Cette détermination caractérise d’ailleurs un grand nombre de sportifs.
Comment pourrait-il en être autrement, lorsque le délai séparant les temps de qualification aux jeux olympiques des records mondiaux ne représente en moyenne que 4 à 5% du temps total ? Ou lorsqu’une place sur le podium au cours de cette même épreuve se joue sur à peine 0,1% de la durée de course (soit 0,1 sec sur un sprint de 100m) ? On comprend dés lors mieux les motivations des 30 à 100% d’athlètes (suivant le sport considéré) prétendant souffrir de fatigue intense quelques semaines, voire quelques jours, avant leur objectif.
Le Dr Charles-Yannick Guezennec définit la fatigue comme « un état résultant de contraintes physiologiques et psychologiques aboutissant à une diminution des performances physiques ou mentales. Elle est vécue par le sujet fatigué comme la sensation d’une baisse de ses propres capacités physiques et/ou intellectuelles » (5). La fatigue peut donc être considérée comme un signal d’alarme de l’organisme, indiquant un état de stress diminuant ses capacités fonctionnelles initiales. Pourtant cette altération transitoire des capacités physiques demeure nécessaire. En effet celle-ci représente une étape indispensable à l’adaptation physiologique à l’exercice.
La majorité des athlètes a d’ailleurs fréquemment recours à une surcharge d’entraînement ponctuelle, suivie d’un allégement du volume et/ou de l’intensité des exercices, voire d’une période de repos complet. Ce schéma d’entraînement, qualifié « d’overreaching » par les anglo-saxons, permet à l’athlète de bénéficier ultérieurement d’un pic de performances, bien que ces dernières puissent être transitoirement altérées (15). Toute la difficulté réside donc dans la capacité à équilibrer la balance entre effort intense nécessaire et récupération régénératrice.
De nombreuses études ont cherché à définir qui, de la fatigue périphérique (musculaire) ou de la fatigue centrale (nerveuse), apparaît comme la cause originelle de la fatigue. Ces deux mécanismes ont ainsi été étudiés isolément, tel un épiphénomène, alors que la fatigue est davantage la conséquence d’une réponse intégrée de l’organisme face aux contraintes de son environnement : Bigland-Ritchie fut un des premiers scientifiques a considérer, dès 1984, l’origine de la fatigue comme étant multifactorielle (2).
Ainsi toute surcharge d’entraînement, aussi bénéfique soit elle, entraîne un véritable « désordre » physiologique : ce dernier nécessite donc l’instauration de périodes de repos, dont la durée se doit d’être modulée individuellement. Toutefois distinguons bien ici la « fatigue transitoire », facteur de performance à part entière, de la fatigue pathologique, véritable désadaptation physiologique à l’origine du surentraînement.
En effet lorsqu’un athlète n’optimise pas sa récupération (repos insuffisant, manque de sommeil, déséquilibre nutritionnel), une perturbation physiologique (ou désadaptation) s’installe progressivement. Si celle-ci perdure involontairement, ou simplement si l’entraînement ne procure plus les bénéfices escomptés, certains symptômes psychologiques, psychosomatiques ou physiologiques, peuvent apparaître.
Les Anglo-Saxons ont ainsi cherché à distinguer différents états transitoires de fatigue, parlant « d’overload training » lors d’une surcharge ponctuelle d’entraînement, « d’overreaching » lors d’un état de surcompensation et « d’overtraining » lors de surentraînement. Le syndrome de surentraînement (ou OTS pour « OverTraining Syndrome ») peut lui se définir par une chute des performances persistante, malgré un allégement de l’entraînement voire une période de repos complet, accompagnée ou non de symptômes psychologiques et physiques. Ainsi plus de 60% des coureurs à pied de haut niveau prétendent avoir souffert de surentraînement au minimum à une reprise au cours de leur carrière sportive.
Le surentraînement, une réponse intégrée
En 2001, le physiologiste Sud-Africain Tim Noakes a proposé un nouveau concept de la fatigue dans la dernière version de son livre « Lore of running »(9). Il la considère comme une réponse intégrée, destinée à pérenniser la survie de l’individu soumis à un effort. Ce point de vue a le mérite de réconcilier (sans les exclure l’une ou l’autre) les différentes théories de la fatigue proposées jusqu’alors. La notion de réponse intégrée a d’ailleurs été parfaitement explicitée par Trémolières dans un ouvrage de référence : en physiologie, l’intégration est « le processus par lequel plusieurs signaux reçus (sensoriels, biochimiques) sont associés et donnent lieu, du fait de leur harmonisation, à un ordre ayant une signification plus élaborée que la simple somme des signaux de départ » (11).
Le cerveau est chargé d’enregistrer les différentes informations en provenance de l’ensemble des territoires anatomiques. Ces informations circulent par plusieurs canaux : systèmes nerveux, hormonal et immunitaire, ayant d’ailleurs certains médiateurs communs. Selon Noakes, si trop d’éléments défavorables sont présents simultanément, la sensation de fatigue qui se manifestera sera alors le mécanisme salvateur déclenché pour obliger l’athlète à réduire son activité, dans le but de restaurer un état fonctionnel optimal (7, 8, 9, 14). Evidemment, de son point de vue, ce n’est pas seulement l’entraînement qui cause le surentraînement. En effet, le terme même de surentraînement sous-entend que l’état d’épuisement observé est la conséquence exclusive d’une mauvaise conduite de la préparation. Or de nombreux facteurs interviennent simultanément dans ce que l’on pourrait qualifier « d’entraînement invisible » : stress, infection, inflammation, manque de sommeil, déficits nutritionnels, désynchronisation des rythmes biologiques, etc… (11) .
Lorsque l’entraînement devient trop intensif et/ou la récupération insuffisante, les microtraumatismes peuvent provoquer des blessures brutales nécessitant une attention particulière. Selon Lucille Smith, ces traumatismes peuvent également s’avérer à l’origine d’inflammations impliquées dans le syndrome du surentraînement. Toutefois ces dernières seraient sous-jacentes, plus diffuses, de faible intensité et donc plus délicates à identifier(13). Plusieurs auteurs confirment d’ailleurs l’existence antérieure d’inflammations tissulaires chez des athlètes surentraînés(6,9).
De plus, divers symptômes retrouvés dans le tableau clinique du surentraînement peuvent également être directement attribuables aux traumatismes musculaires : syndrome des jambes lourdes, douleurs musculaires augmentant d’une séance à l’autre, ou encore faiblesse musculaire. Il est également démontré qu’une lésion musculaire peut influer, directement ou non, sur les performances athlétiques en diminuant la force, l’efficacité et l’habilité du mouvement ; et ce afin de protéger la zone traumatisée(13).
Quelle que soit la localisation ou la nature du traumatisme tissulaire, la réponse de l’organisme est toujours une inflammation(13). L’inflammation aigue est une réponse bien orchestrée, mettant en oeuvre différents systèmes : elle demeure le seul mécanisme capable de promouvoir la régénération. Cette dernière nécessite environ 72h, bien qu’elle ne puisse être complètement résorbée avant 6 semaines(13). Pour autant, si pour diverses raisons cette situation demeure non compensée, le risque d’évolution progressive vers la chronicité devient alors majeur (3).
Comment la nutrition peut être impliquée dans le surentraînement ?
Tout simplement parce qu’elle contribue de manière importante au maintien de l’homéostasie cellulaire. Les dix milles milliards de cellules qui constituent notre organisme disposent en effet de formidables capacités à maintenir leur état d’équilibre malgré les nombreuses sollicitations. Toutefois, pour ce faire, elles doivent disposer des nutriments nécessaires à cette adaptation et au contrôle de l’inflammation.
En clair, les cellules doivent être bien nourries ! De nombreuses hypothèses impliquant la nutrition dans la survenue du surentraînement ou de la fatigue chronique ont été émises, en particulier l’épuisement répété et important du glycogène(4), l’augmentation des besoins en glutamine à l’origine d’un risque accru d’infections en phase de récupération favorisant la survenue de la fatigue ou encore les conséquences de l’effort de longue durée sur le métabolisme de la sérotonine.
Chacune de ces hypothèses nécessiterait un développement important. Toutefois, loin d’être réfutées, elles s’intègrent davantage dans une logique globale, considérant la fatigue chronique ou le surentraînement comme la résultante d’une désadaptation globale en partie liée à une inflammation systémique, pérennisée et non contrôlée. De nombreux facteurs nutritionnels interviennent dans la régulation de l’inflammation.
- L’équilibre de la flore intestinale
Tout commence dans l’intestin. En effet, la flore intestinale est constituée de plus de 100 000 milliards de bactéries. Le système immunitaire du tube digestif est en dialogue constant avec le microbiote intestinal. Il reconnait en effet les fragments antigéniques des molécules constitutives des bactéries ou leurs métabolites, à l’origine de la production de médiateurs immunitaires, les cytokines. Ainsi un déséquilibre de la flore intestinale peut induire une production inadaptée de cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-6, TNF-alpha), de même que la réaction inflammatoire qui s’en suit peut modifier le fonctionnement du système nerveux central.
Les cytokines peuvent alors agir en transmettant directement l’information d’une cellule à une autre (action paracrine), voire à l’organisme entier lorsqu’elles sont présentes en concentration importante dans le sang (action endocrine). Les différents organes sont ainsi informés : le cerveau, le foie, les reins et les cellules du système immunitaire. Un déséquilibre de la flore intestinale, favorisé notamment par une mastication insuffisante, une alimentation trop riche en glucides ou en protéines, la prise d’antibiotiques ou d’anti-inflammatoires, ou tout simplement par les variations répétées de débit sanguin entérique à l’effort et au repos, peut donc être à l’origine d’une production accrue et inadaptée de cytokines pro-inflammatoires. A noter qu’une déshydratation répétée accentue également la diminution de cette irrigation sanguine et favorise ainsi la perturbation de l’écosystème intestinal au long terme.
- Les apports en acides gras essentiels
Les acides gras, constitutifs des graisses alimentaires consommées, influent également sur la bonne gestion de l’inflammation. Or les conseils nutritionnels destinés aux sportifs font en général la part belle aux glucides, ce au détriment des graisses de qualité, plaçant ainsi le sportif dans une situation de risque accru de déficit en acides gras essentiels, en particulier de la famille des oméga 3.
Le physiologiste Venkatraman accuse dans l’une de ses études(10) : « La tendance des athlètes à éviter les graisses compromet dramatiquement les défenses immunitaires et anti-oxydantes ». Ceci est lié au fait que « les athlètes sont exposés à des stress aigus et chroniques qui conduisent à une altération des défenses immunitaires et à une production accrue de radicaux libres. Tant la quantité que la qualité des acides gras de la ration peuvent exercer des effets modulateurs sur le système immunitaire cellulaire, au niveau moléculaire, notamment par l’expression et la production des cytokines ».
Ainsi quelques rares experts voient d’un œil moins favorable que la majorité des spécialistes la tendance actuelle à la restriction lipidique de nombreux sportifs. En effet la synthèse des cytokines peut être modulée par les prostaglandines, molécules dérivées des acides gras essentiels des familles ω6 et ω3. Et au regard de l’alimentation spontanée des athlètes, il existe un terrain latent pro-inflammatoire qui ne demande qu’à s’exprimer. En pratique, la consommation quotidienne d’une à deux cuillères à soupe d’huile vierge première pression à froid riche en oméga 3 (colza, noix, lin, cameline), l’apport régulier d’oléagineux (noix, amandes) au petit déjeuner ou en collation, et de petits poissons gras (sardines, anchois, maquereaux) permettent de répondre aux besoins en oméga 3 et ainsi d’optimiser une réponse inflammatoire physiologique.
- La gestion de la glycémie
Plusieurs méta-analyses mettent en évidence l’effet d’un régime riche en aliments à index glycémique élevé sur certains marqueurs de l’inflammation (CRP et IL-6) (1, 12). Pour rappel, l’index et la charge glycémiques permettent de quantifier les effets des aliments glucidiques sur la glycémie, à savoir le taux de sucre dans le sang.
Ainsi, la consommation quotidienne d’aliments glucidiques à faible index glycémique, notamment de produits céréaliers complets et de légumineuses au détriment des aliments à fort index glycémique (produits céréaliers raffinés, produits sucrés, céréales soufflés, sodas, etc.) permet de favoriser le contrôle physiologique de l’inflammation.
- Le contrôle du stress oxydant
Le stress oxydant issu de la production de radicaux libres à partir de la consommation d’oxygène est bénéfique et nécessaire au fonctionnement de l’organisme, en particulier des cellules du système immunitaire. Toutefois, un excès de production liée notamment à la consommation accrue d’oxygène au cours de l’effort ou un défaut de défense dite antioxydante, peut favoriser ce stress oxydant et sa perte de contrôle, à l’origine d’une altération des structures cellulaires et d’une augmentation de l’inflammation.
La satisfaction des besoins en nutriments antioxydants (vitamines C, A, E, Zinc, Sélénium, Cuivre, Manganèse, polyphénols) représente donc un facteur important en matière de nutrition sportive. De même, de nombreux autres déterminants nutritionnels interviennent dans la gestion de l’inflammation, en particulier le statut en cofacteurs et catalyseurs enzymatiques (vitamines du groupe B, minéraux et oligo-éléments), le statut en glycogène ou encore le maintien d’une balance acido-basique équilibrée.
Au même titre que la fatigue chronique ou le surentraînement est une réponse intégrée de l’organisme face à une sollicitation trop importante ou une capacité de récupération altérée, les rôles de la nutrition sont multifactoriels. L’explication de chacun des intérêts des nutriments mériterait davantage de développement.
Toutefois et en synthèse, le recours à une alimentation essentiellement non transformée, locale ou d’origine biologique, à base de végétaux frais et de saison, de graisses de qualité et d’aliments à index glycémique faible à moyen, représente une démarche préventive essentielle, autant en matière de santé que de survenue de la fatigue. La détermination de troubles fonctionnels ou d’altération de la qualité de vie en relation avec un déséquilibre ou un déficit nutritionnel par un professionnel de santé permettra si besoin de préciser les besoins spécifiques et la mise en place de programmes nutritionnels personnalisés.
Références :
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- Bigland-Ritchie B. Muscle fatigue and the influence of changing neural drive issu de Poortmans J-R., Boisseau Nathalie. Bases biochimiques de la fatigue. Biochimie des activités physiques seconde édition. Ed. Sciences et pratiques du sport. De boeck Université. Bruxelles. Belgique. P 433-454.
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- Noakes TD. Lore of running. 4th Ed. Capetown Univ.Press. USA. 2001.
- Riché D. Hyperperméabilité intestinale chez le sportif : mécanismes, consequences et prise en charge nutritionnelle. NAFAS. Vol 2, n°3, Sept 2004.
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- Uusitalo A., Arja L.T. Overtraining. The physician and sportsmedicine. May 2001 – 29 (5).
Texte : Anthony Bertou.
Cet article est paru dans les pages conseils du numéro 242 de VO2 Run. Retrouvez également le numéro 243 de VO2 Run, actuellement en kiosque et disponible ici.