Mental : entraîner son cerveau en endurance

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Poste Le 17 août 2015 par adminVO2

L’entraînement classique en course à pied consiste la plupart du temps en un entraînement physique spécifique où l’on sollicite les différents filières énergétiques en utilisant une combinaison de séances : footings, intervalles ou fartlek, sorties longues… Cependant, les facteurs physiologiques ne sont pas les seuls facteurs expliquant la performance. Les facteurs psychologiques communément appelés « le mental » jouent également un rôle dans la performance en course à pied. Or cette composante mentale est rarement travaillée à l’entraînement…
Beaucoup d’athlètes Elite ont compris l’utilité d’introduire une préparation mentale en complément de leur entraînement classique, en utilisant le plus souvent les services d’un coach ou préparateur mental. Le rôle du cerveau dans la régulation de la performance a commencé à être étudié d’une manière un peu plus scientifique depuis quelques années.
Ces nouvelles connaissances ont permis l’élaboration de techniques d’entraînement innovantes que l’on peut qualifier d’« entraînement mental ». Nous allons décrire ci-après quelques unes de ces techniques encore méconnues du grand public mais déjà utilisées par certains athlètes de pointe.
Récemment, le concept de BET (Brain Endurance Training) ou méthode d’entraînement du cerveau en endurance a été proposé par Samuele Marcora, chercheur à l’Université de Kent (UK). Ce concept est basé sur les interactions existantes entre la fatigue mentale, la perception de l’effort et la performance en endurance. Le Professeur Marcora est à l’origine de travaux qui montrent que la fatigue mentale, occasionnée par une tâche cognitive soutenue, type « serious game » sur ordinateur, réduit la performance lors d’un exercice d’endurance subséquent.
Plus spécifiquement, il a été montré qu’une heure et demie de tâche cognitive soutenue réduit de 12% le temps limite d’exercice que peuvent maintenir les sujets lors d’un effort réalisé à 80% de VO2max, par rapport à la situation contrôle. Les explications de cette réduction de la performance physique après une fatigue mentale ne sont pas d’ordre physiologique, car tous les paramètres cardiovasculaires et neuromusculaires sont altérés de la même manière, avec ou sans fatigue mentale. L’altération de la performance en endurance serait due à une modification de la perception de l’effort, occasionnée par la tâche cognitive prolongée réalisée au préalable.
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En effet, en situation de fatigue mentale, les sujets perçoivent l’effort à maintenir comme plus difficile en comparaison de la situation contrôle (sans fatigue mentale). La perception de l’effort maximal qui peut être soutenue apparaît plus précocement, et les sujets se désengagent de l’exercice physique plus tôt, réduisant ainsi leur performance. Des travaux scientifiques plus récents menés en particulier à l’Université de Dijon, ont montré cependant que la fatigue mentale n’altérait a priori que les performances de type endurance, et pas les performances faisant intervenir la force explosive comme la détente verticale.
Le but du BET est d’entraîner le cerveau à résister à la fatigue mentale, réduire la perception de l’effort et donc améliorer la performance pour un exercice d’endurance donné ; la performance en endurance étant régulée selon le modèle psychobiologique du Professeur Marcora par la perception de l’effort. Les protocoles d’entraînement du cerveau en endurance, qui ne sont malheureusement pas encore disponibles pour le grand public, utilisent les interactions entre la fatigue mentale et l’exercice.
Donnons un exemple de protocole BET. Commencez par trouver un jeu vidéo demandant une grande attention, pas nécessairement une grande vitesse d’exécution mais plutôt une concentration continue pour éviter au maximum les erreurs. Ce jeu sera votre tache cognitive que vous devrez réaliser pendant une heure environ avant votre séance de course à pied, deux à trois fois par semaine. Pendant cette heure de « serious game », gardez au maximum votre concentration, essayez de répondre aux questions ou aux sollicitations du jeu le plus vite possible mais correctement. Vous devez terminer cette heure de jeu vidéo épuisé mentalement.
Une fois votre exercice cognitif terminé, enchaînez avec votre séance de course à pied prévue, plutôt de type continu (sortie longue ou allure au seuil). Il peut être aussi intéressant de réaliser une séance à pied dont la deuxième partie serait par exemple un travail à l’allure spécifique correspondant à votre prochain objectif (ex. 10km, semi-marathon ou marathon). En comparaison avec la même séance réalisée sans pré-fatigue mentale, vous ne devriez pas vous sentir plus fatigué au niveau des jambes mais vous devriez ressentir l’allure comme plus difficile à maintenir, vous aurez besoin de vous concentrer plus pour maintenir la vitesse désirée.
Une fois de plus, focalisez-vous sur cette tâche monotone qui est de garder ce mouvement rythmique des jambes et des impacts au sol. D’un point de vue engagement mental, l’effort à fournir correspondra à celui rencontré en fin d’épreuve sauf que vous n’aurez pas réalisé la même distance que le jour de la compétition. C’est exactement le but de ce type de séance : reproduire à l’entraînement les conditions mentales difficiles observées en fin d’épreuve sans la même charge physiologique.
Veillez à ne pas utiliser de caféine ou d’autres stimulants du système nerveux lors de ce type d’entraînement. Vous risquez d’amenuiser les effets recherchés. En effet, la caféine par son effet stimulant permet de contrebalancer les effets de la fatigue mentale. Par contre, le jour de la compétition aucune contre-indication de prendre un/deux petits cafés avant l’épreuve (Rappel : la caféine n’est plus sur la liste de produits dopants depuis 2004).
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Des travaux scientifiques sont menés actuellement pour étudier les effets bénéfiques potentiels d’entraînements combinés (physique et mental). L’idée étant dans ce cas de demander aux sujets de réaliser une tâche cognitive soutenue tout en réalisant en même temps un exercice physique. Par exemple, imaginez-vous jouer à un « serious game » sur une tablette alors que vous êtes en train de pédaler son votre vélo d’appartement ou, pour les plus habiles, courir sur un tapis roulant.
Les résultats préliminaires semblent montrer des gains de performances sur des tests d’épuisement (ou temps limite) beaucoup plus importants pour les sujets ayant réalisés un cycle d’entraînement combiné en comparaison des sujets ayant réalisé un entraînement physique seul. L’utilisation d’une tablette pour réaliser la tâche cognitive lors d’un exercice physique étant souvent problématique, les chercheurs réfléchissent actuellement à l’utilisation de lunettes interactives type lunettes « Google » pour réaliser les entraînements combinés de manière plus conviviale.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faille passer une heure sur sa tablette ou son ordinateur avant chaque entraînement. Simplement, les efforts physiques et mentaux sont toujours entremêlés ; et chaque séance de course à pied est toujours une bonne opportunité pour entraîner son cerveau.
Jusqu’à récemment, les entraîneurs et les scientifiques du sport pensaient que les athlètes devaient toujours réaliser leur séance d’entraînement le plus « frais » possible, c’est à dire bien hydraté, les stocks de glycogène rechargés, et les jambes reposées. Des idées nouvelles suggérant l’inverse commencent à émerger, par exemple s’entraîner le ventre vide ou à jeun, ou les jambes fatiguées pour stimuler les adaptations qui aident à supporter les difficultés de la compétition. Les mêmes concepts sont vrais pour le cerveau : être reposé n’est pas toujours la meilleure idée.
Les militaires excellent par exemple dans le domaine de l’entraînement des troupes en état de fatigue mentale : marches forcées épuisantes en situation de privation de sommeil par exemple. Mais vous n’avez pas besoin de vous mettre dans ces situations aussi extrêmes. Si votre cerveau est « fatigué » après une journée stressante au travail ou une nuit blanche avec un enfant malade, ne suivez pas les conseils habituels qui seraient de repousser la séance d’entraînement que vous aviez prévue.
Au contraire, profitez de ce brouillard mental pour chausser vos running et partez courir. Vos chronos seront certainement plus lents que d’habitude, et les taux d’adénosine dans votre cerveau seront exorbitants. Vous détesterez courir, vous détesterez la vie en général et surtout la théorie de Samuele Marcora. Mais si quelques mois plus tard, ces séances intitulées « force toi à courir maintenant » se transforment en un record battu, vous lui pardonnerez.

Les autres méthodes dérivés du BET

– Le dialogue interne (ou motivational self-talk en anglais)
Le modèle psychobiologique de la performance en endurance suggère que la perception de l’effort est le déterminant principal de la performance en endurance. Donc tout facteur physiologique ou psychologique qui peut affecter la perception de l’effort peut affecter la performance. A ce titre, il a été récemment montré scientifiquement (Blanchfield et coll. 2014a), et cela paraît plutôt logique, que les auto-encouragements verbaux pouvaient améliorer la performance.
Deux groupes de sujets ont participé à un entraînement de deux semaines à la fin duquel, ils devaient réaliser un effort à 80% de VO2max jusqu’à l’épuisement. Le groupe expérimental fut initié par un coach mental à la pratique de l’auto-encouragement, basée sur l’expression orale de mots tels que « je me sens bien », « je suis en forme », « je dois continuer encore », …
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Suite à cet entraînement mental, les sujets ont augmenté leur performance en endurance de 15% alors que les sujets du groupe contrôle sans entraînement mental n’ont pas modifié leur performance. Cette amélioration est encore une fois associée à un changement de perception de l’effort des sujets entraînés mentalement. En effet, les auto-encouragements verbaux étaient associés à une perception de l’effort plus faible, qui s’est avérée bénéfique pour la performance en endurance. Vous regarderez sûrement maintenant d’un autre œil les athlètes qui s’encouragent eux-mêmes à haute voix. N’hésitez pas non plus de votre côté à essayer cette technique qui ressemble à de l’auto-persuasion lors de séances dures par exemple.
– Les images subliminales
Un article récemment paru dans le journal scientifique Frontiers in Human Neuroscience, toujours de la même équipe de recherche (Blanchfield et coll. 2014b) a récemment fait beaucoup parlé de lui dans le domaine des sciences du sport. Dans cette étude, il a été montré que des stimuli visuels non-conscients (types images subliminales) pouvaient influencer la performance en endurance. Les images sublimables sont des images qui apparaissent lors d’un film ou d’une vidéo avec un délai d’exposition très court (16 ms).
Elles ne sont donc pas perçues de façon consciente par l’individu mais elles activent néanmoins des régions spécifiques du cerveau. Ce procédé et tout type de message subliminal est normalement interdit dans le domaine de la publicité (on évoque souvent le cas des images subliminales montrant du pop-corn à l’entracte des séances de cinéma). Dans cette étude, les sujets devaient réaliser un exercice de cyclisme à une intensité fixe (65% de la puissance maximale) le plus longtemps possible jusqu’à épuisement dans deux conditions aléatoires.
Dans la première, ils étaient exposés à des mots ou des images sublimables « positives » (visage d’une personne heureuse, mots relatant l’action tels que vitalité, énergie, vif) alors que dans la deuxième condition, les mots et les images subliminales étaient à consonance « négative » (visage d’un personne triste, mots tels que : arrêt, sommeil, fatigue). Un écart de performance de 17% en moyenne a été observé entre les deux temps limites d’exercice. Ces résultats sont les premiers à démontrer que des informations subliminales peuvent altérer la performance physique en influençant la perception de l’effort et la motivation intrinsèque de l’individu. Ces données auront certainement des futures applications dans le domaine de l’entraînement ou de la compétition.
Conclusion
Il semble à présent bien établi que les facteurs psychologiques en particulier ceux liés à la perception de l’effort sont à prendre en compte dans la régulation de la performance en endurance. Les techniques d’entraînement du cerveau vont sans aucun doute connaître dans les années à venir un développement majeur dans le monde sportif. Il est évident que certains athlètes de haut niveau utilisent déjà ces techniques d’entraînement mental en complément de leur entraînement classique dans leur préparation pour les jeux de Rio 2016.
Bibliographie

  1. Marcora et coll. (2009) J Appl Physiol 106 : 857-864.
  2. Blanchfield et coll. (2014) Med Sci Sport Exerc 46 :998-1007.
  3. Blanchfield et coll. (2015) Front Hum Neurosci sous presse.
  4. Pageaux et coll. (2013) Med Sci Sport Exerc 45 :2254-2264.
  5. Pageaux et coll. (2014) Eur J Appl Physiol 114 :1095-1105.
  6. Rozand et coll. (2014) Med Sci Sport Exerc 46 :1981-1999.
  7. Rozand et coll. (2014) Front Hum Neurosci 8 :755.

Texte : Romuald Lepers
Photos : IStock, Yves-Marie Quémener, Vianney Thibaut.
Cet article sur la manière de faire progresser son mental est paru dans les pages conseils du numéro 240 de VO2 Run, disponible ici.

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