Moins de deux heures sur marathon : possible ou pas ?

Partager
Poste Le 29 octobre 2015 par adminVO2

Le 28 septembre 2014, lors du marathon de Berlin, le Kenyan Dennis Kimetto a établi un nouveau record du monde sur la distance en 2:02:57, soit une vitesse moyenne de 20,57 km/h. Ce nouveau record a relancé le débat sur la possibilité – ou non – de passer un jour sous la barre mythique des 2 h sur le marathon. Certains mettent en doute les performances actuelles, d’autres pensent que c’est une évolution logique et que tous les records seront battus un jour. Nous allons donner ici quelques éléments rationnels qui permettront à chacun de se faire sa propre idée sur la question.
Au cours des dix dernières années, le record au marathon a diminué de deux minutes, soit 12 secondes par an. Si la progression est similaire dans les années futures, la barre des 2 h devrait être franchie aux alentours de 2030, mais certaines conditions sont nécessaires pour un battre un tel record.
Les six derniers records ont été battus à Berlin, suggérant que cette épreuve possède les conditions propices aux meilleures performances. A ce jour, seules six épreuves dans le monde ayant un dénivelé très faible ont vu des chronos inférieurs à 2:05:00. Il s’agit de Berlin, Dubaï, Rotterdam, Francfort, Chicago et Londres. Un parcours avec très peu de virages, comme à Dubaï, est aussi une condition pour réaliser des bons chronos. Le marathon de Boston ayant un profil négatif ne peut pas être éligible pour un record.
Un record nécessite des conditions météorologiques optimales : évidemment sans vent et avec des températures fraîches (aux alentours de 5°C). En effet, les coureurs Elite ayant un métabolisme énergétique très élevé pendant la course produisent beaucoup plus de chaleur que les coureurs amateurs, et tirent donc un meilleur bénéfice des températures fraîches pour leur thermorégulation. Ceci implique que les épreuves doivent se dérouler au printemps ou en automne, l’idéal étant des mois comme mars ou novembre.
Une stratégie de course est aussi nécessaire pour battre un record, avec la présence de nombreux meneurs d’allure ou « lièvres » qui vont imposer le tempo le plus longtemps possible et protéger le(s) leader(s) du vent. En effet, à plus de 20 km/h, la résistance de l’air à l’avancement n’est plus négligeable. On estime qu’à cette vitesse, courir derrière un autre coureur permettrait de gagner presque deux minutes sur 42 km. Mais souvent, les meneurs d’allure (jusqu’à 6 coureurs comme à Berlin) ne dépassent que très rarement les 30 km, laissant le leader terminer le travail tout seul. Pour atteindre la barre des 2h, les meilleurs coureurs devront courir ensemble, les uns derrières les autres quasiment jusqu’à l’arrivée.

Wilson Kipsang en 2013 après ses 2h03'23'', alors record du Monde (Wilson Kipsang lors de son record du Monde en 2013 (Photo SCC EVENTS/PHOTORUN)
Wilson Kipsang en 2013 après ses 2h03’23 », alors record du Monde (Wilson Kipsang lors de son record du Monde en 2013 (Photo SCC EVENTS/PHOTORUN)
Une des raisons qui poussent aussi les marathoniens à courir de plus en plus vite est l’augmentation des primes à la performance. L’ensemble des « prize money » distribué sur les courses sur route renommées a doublé ces quinze dernières années. Par exemple, quand le Skeikh de Dubaï a proposé 1 million de dollars en primes de course et autant si le record du monde était battu, le marathon de Dubaï est devenu, d’un jour à l’autre, l’un des plus rapides de la planète, malgré des températures avoisinant les 23 °C en janvier.
Les Kenyans et les Ethiopiens dominent le marathon depuis les années 2000. Parmi les 100 meilleurs marathoniens de tous les temps, on trouve 59 Kenyans et 31 Ethiopiens. La question de savoir si cela est dû à la génétique ou à l’environnement reste débattue et finalement importe peu, quand il s’agit de courir le premier marathon en dessous de 2 h. Le succès des coureurs d’Afrique de l’Est révèle des traits de caractères que le futur détenteur de ce record possédera, quel que soit son origine.
Certains observateurs estiment que la plus grande différence entre les coureurs Kenyans et les autres, en ce moment, est que chaque coureur Kenyan croit vraiment à « un jour : ce sera mon tour ». Il est plus facile pour un jeune coureur d’entretenir cette croyance quand il peut côtoyer, s’entraîner et partager le succès des champions, comme cela est possible dans les camps d’entraînement en Afrique de l’Est. Celui qui courra un marathon sous les deux heures devra commencer par croire que c’est possible, qu’il est celui qui peut le faire, et qu’il ne pourra pas y arriver seul. Les psycho-physiologistes suggèrent que ce que vous percevez comme vos limites physiques dépend de ce que vous croyez être possible. Avoir des convictions permet de repousser ses limites.
L’importance du coût énergétique
La vitesse à laquelle on peut courir dépend de deux facteurs : de la fraction de VO2max  que l’on peut soutenir pendant l’effort, et de la quantité d’oxygène utilisée pour courir à cette vitesse, appelée coût énergétique ou économie de course. Le premier facteur, la VO2max, correspond à la quantité maximale d’oxygène qui peut être utilisée par le corps, donc par les muscles, durant l’exercice. L’oxygène permet de convertir l’énergie chimique des aliments en énergie mécanique. Plus votre VO2max est élevée, plus  vous pourrez, a priori, courir longtemps et vite. Si l’entraînement permet d’améliorer la VO2max, les marathoniens Elite ont déjà des valeurs très élevées et il leurs est difficile de l’améliorer encore.
Kenenisa Bekele franchit la ligne en vainqueur lors de son premier marathon en 2014 à Paris (Photo ASO)
Kenenisa Bekele franchit la ligne en vainqueur lors de son premier marathon en 2014 à Paris (Photo ASO)
Le dopage, avec l’EPO ou les transfusions sanguines par exemple, est un moyen pour booster la VO2max et il est possible que la triche ait contribué à la diminution des temps sur marathon ; cela pourrait être aussi, malheureusement, un moyen permettant de s’approcher de la barre des 2h dans le futur. Cependant, un marathon n’est pas couru à l’intensité correspondant à VO2max. Elle n’est, par conséquent, qu’un des facteurs physiologiques de la performance sur 42 km.
L’économie de course, correspondant à la quantité d’oxygène nécessaire pour courir à une vitesse donnée, est aussi un autre indice révélateur de la performance sur marathon. En effet, réduire ses besoins en oxygène pour courir à la vitesse de course désirée permet d’être plus économe et donc de dépenser moins d’énergie. Paula Radcliffe, l’actuelle détentrice de la meilleure performance féminine sur marathon depuis 2003 (2:15:25), était connue pour avoir une économie de course exceptionnelle, qu’elle a su améliorer continuellement durant les 10 ans qui ont précédé son record.
Les études physiologiques montrent que si l’on combinait les meilleures valeurs de VO2max et de coût énergétique observées, à ce jour, chez des coureurs différents, il serait physiologiquement possible de maintenir les 21,1 km/h pendant 2h, vitesse moyenne nécessaire pour atteindre ce record.
Des coureurs  plus petits et plus légers
Au cours de ces 20 dernières années, le poids et la taille des 100 meilleurs performeurs mondiaux ont diminué respectivement de 3 kg et de 3 cm en moyenne. Les coureurs plus légers ont évidemment moins de poids à transporter mais ils produisent aussi moins de chaleur et la dissipent mieux (ils ont une plus grande surface de peau par rapport à leur poids). Ainsi, ils peuvent maintenir des vitesses plus élevées sans surchauffe et sans besoin de ralentir. Malgré, une petite taille, l’idéal est d’avoir des longues jambes, fines, plus économes pour une même foulée que des jambes musclées et donc plus lourdes.
Des méthodes et des outils d’entraînement novateurs
Utilisation du passé pour prédire l’avenir, de toute évidence, ne tient pas compte de l’émergence de nouvelles tendances et techniques. En 2011, la revue américaine de Physiologie « Journal of Applied Physiology » a publié un article où le physiologiste Michael Joyner et ses collègues se sont exprimés sur les perspectives d’un marathon sous les 2 h.
Dans cet article, plus de 30 chercheurs discutent de l’utilisation possible de certaines méthodes ou procédés qui pourraient aider à franchir cette barrière comme : le suivi des variations de la fréquence cardiaque pour quantifier la récupération (méthode qui est déjà employée), l’utilisation plus rapide des glucides, et l’exposition à des altitudes élevées. Seul le temps dira si l’un de ces facteurs ou quelque chose que personne n’a encore considéré pourra être utile pour les marathoniens.
 
L’audace et la fougue des jeunes coureurs
Il y a seulement 15 ans, on traitait le marathon « avec respect », avec une certaine appréhension. On pensait que pour faire un bon marathonien, il fallait d’abord commencer par faire ses armes sur la piste, et monter progressivement sur des distances plus longues après 25 ans, voire le début de la trentaine. En 2008, lors du marathon olympique de Pékin, le jeune coureur Kenyan, Sammy Wanjiru, âgé alors de 21 ans, est parti sur une rythme très élevé, malgré la température avoisinant les 28°C.
Tout le monde pensa alors qu’il allait « exploser » et pourtant, il gagna avec 44s d’avance avec un temps de 2:06:32. Après les JO de 2008, « l’effet Wanjiru » est apparu. Des jeunes coureurs ont commencé à zapper la piste pour s’attaquer de suite aux 42 km, et à courir de manière plus agressive en partant très vite dès le départ. Wanjiru est décédé en 2011, à 24 ans, de manière accidentelle.
La vitesse qu’il aurait pu atteindre sur marathon, au sommet de sa carrière, ne sera donc jamais connue. Mais le souvenir de ses exploits inspire, depuis, d’autres jeunes coureurs provenant, comme lui, des hauts plateaux de la vallée du rift est-africain. Par exemple, le jeune Ethiopien de 18 ans, Tsegaye Mekonnen, qui a couru 02:04:32 dès son premier marathon à Dubaï en janvier 2014, avec un temps de passage au semi-marathon en 1:01:39…
Fiction – La course de rêve…
La route est si plate et droite, que l’on peut voir les coureurs arrivant à plus d’un kilomètre. Six coureurs suivent une ligne tracée sur la route. L’air début Novembre est sec, le ciel couvert, il n’y a pas de vent et la température est légèrement au-dessus de zéro, comme prévu. Tous sont âgés d’à peine plus de 20 ans, ils se sont entraînés ensemble, pour ce moment, depuis plusieurs années ; et c’est seulement le mois dernier que leur entraîneur a sélectionné trois d’entre eux qui tenteront le record.
Les trois autres mènent l’allure devant, en coupant le vent et ont pour consigne de respecter à la lettre l’allure définie. Si l’un d’eux franchit la ligne d’arrivée en 2 h ou moins, tous les six se partageront à part égale la prime de 20 millions de dollars promis par les héritiers de la fortune de la société Google Sport. La chasse au record est ouverte.
Quand cette course idéale se réalisera-t-elle ? L’Homme est passé sous la barre des 1 h au semi-marathon depuis 1998, combien de temps faudra-t-il encore attendre pour atteindre celles des 2 h au marathon ? Les physiologistes nous disent que ce n’est pas impossible … ce qui signifie que c’est possible, … alors quand ?
Références :
http://rw.runnersworld.com/sub-2/
http://www.iaaf.org/home
Joyner MJ, Ruiz JR, Lucia A. (2011) The two-hour marathon: who and when? J Appl Physiol, 110(1) :275-7.
Texte : Romuald Lepers.
Photo de une : Dennis Kimetto lors de son record du Monde du marathon l’an passé à Berlin (SCC EVENTS/Jiro Mochizuki).
Cet article intitulé « Moins de deux heures sur marathon : possible ou pas ? » est paru dans les pages conseils du numéro 239 de VO2 Run, disponible ici. Plus de conseils et bien d’autres choses à lire dans le numéro actuellement en kiosques.

X