Mental : comment prendre du plaisir en compétition ?

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Poste Le 31 juillet 2015 par adminVO2

Notre consultante Annette Sergent, double championne du Monde de cross, explique comment conjuguer effort, souffrance et plaisir en compétition.
« Je suis toujours surprise par la réponse de nombreux coureurs  »loisirs » auxquels je pose des questions sur leur pratique (depuis quand ils courent, combien de fois, à quelles allures, …) : « Oh moi, vous savez, ce n’est pas comme vous, je cours pour mon plaisir…», en référence à la pratique de haut-niveau qui a été la mienne. Parfois sur un ton de boutade ou au contraire presque d’excuse. Comme si le plaisir ne pouvait pas être associé à la pratique du haut-niveau et à l’effort, intense et jusqueboutiste, ou juste suivi.
Même si j’en comprends l’idée, les enjeux ne sont pas les mêmes, et bien sûr lorsque l’on fait de la compétition de haut-niveau, on ne choisit pas l’option de marcher quand ça devient dur, quand on a un moment de « moins bien » et de découragement ; je ne vais évidemment pas dire que tous mes entraînements et compétitions ont été pur plaisir et j’ai eu pendant ma carrière souvent envie de m’arrêter à certains moments ; mais en même temps, pouvoir dépasser ces passages difficiles est une vraie source de plaisir, décuplé quand l’objectif est atteint, et quelque part proportionnel à l’effort accompli.
Demandez aux juniors filles qui sont montées sur le podium des championnats d’Europe de cross si le plaisir n’y était pas, après avoir bataillé sur un terrain capricieux et usant. Evidemment, elles sont allées au bout d’elles-mêmes et ne se sont pas écoutées quand elles étaient dans  »le dur », mais le plaisir se savoure ensuite. Il y a dans l’effort même le moyen d’exprimer ses capacités mentales, décider que « oui, j’ai des ressources au fond de moi et je peux encore », et se voir accélérer alors qu’on se croyait complètement cuit ; c’est une formidable sensation !
Il y a du plaisir dans l’effort, dans la recherche de performance, dans la confrontation, sans que cela soit du masochisme ou une envie d’écraser l’autre. Etre performant, c’est être au mieux de ce que l’on peut faire, optimiser son potentiel avec l’objectif de progresser.
« On peut prendre du plaisir dans l’effort »
J’ai parfois le sentiment que le mot de «compétition  » est devenu un « gros mot » ; c’est assez fréquent de voir des jeunes venir en club, s’entraîner régulièrement et ne pas vouloir faire de la compétition ; comme si faire de la compétition, ou pire, avoir l’esprit de compétition, portait en soi un aspect négatif, péjoratif.
La question n’est pas de faire ou ne pas faire, être contre ou pour (comme par exemple pour les étirements), mais plutôt de savoir comment on le fait.
Sans doute que les médias renvoient parfois une mauvaise image, avec les dérives du dopage, le stress négatif et l’agressivité que cela peut dégager, tout comme la notion de  »compétitivité » permanente à laquelle il faut faire face dans notre société ; Et je pense que d’une façon générale, la compétition a perdu au fil des années son sens  »positif », ses valeurs formatrices et stimulantes au niveau de l’éducation.
A l’heure où il est question de supprimer les notes à l’école, dites  »violentes », car ceux qui sont en difficulté souffrent, où l’on supprime la course en ligne en cross pour les petites catégories, je me demande si le fond du problème est bien d’éviter la notion de compétition, de classement et plus globalement du goût de l’effort, plutôt que de lui rendre son vrai sens ; pour moi, L’ENJEU de la compétition, c’est bien le JEU, quel que soit le niveau de pratique ; courir  »contre » les autres, c’est  »jouer » avec les autres ; les autres permettent aussi d’être meilleurs.
Lorsque l’on joue à un jeu de société, on a envie de gagner et on met en œuvre ce qu’il faut pour ça ; certains vont jusqu’à tricher, comme en sport … mais la plupart du temps, et pour le bonheur de tout le monde, ça reste un jeu « contre/avec » les autres.

Photos Transgrancanaria
Photos Transgrancanaria
Concernant l’effort, il doit être récompensé ou au moins, et surtout, reconnu. La notion d’équipe chez les jeunes catégories est d’ailleurs bien développée dans les clubs pour justement donner toute leur place aux derniers, et il est en effet important de les valoriser. N’abandonnons pas pour autant l’importance de la confrontation, ne freinons pas les ardeurs de ceux qui ont la chance d’être devant.
Il y a plusieurs façons d’interpréter la devise du baron Pierre de Coubertin  « l’essentiel est de participer » : être au départ, présent sur l’évènement, mais aussi s’impliquer, être acteur en donnant le meilleur de soi-même. Il me semble qu’en tant que parent, qu’éducateur, nous devenons plus frileux devant l’effort pour nos enfants que nous ne l’étions pour nous, frileux devant le risque de défaillance et surtout … de responsabilité : je me souviens d’une intervention avec Dominique Chauvelier dans une école ; durant leur cycle d’endurance, les enfants d’école primaire avaient 12 minutes à réaliser, chacun à leur rythme ; Dominique et moi donnions quelques conseils sur la respiration et le mental au moment où ça pouvait devenir difficile ; l’objectif était de modérer son allure si besoin, mais de continuer à courir ;  la directrice est alors intervenue en déclarant son désaccord et en ajoutant : « si vous êtes fatigués, vous marchez !… ». Il est vrai qu’il faisait chaud, mais…
Développons en chacun de nous cette capacité à « donner le meilleur de soi » et à connaître du « plaisir », deux notions tout à fait complémentaires. Il ne s’agit pas d’opposer « haut-niveau » à « loisirs » ; cette notion de plaisir dans l’effort est présente à tous les niveaux. L’idée d’être au départ, de faire partie des  »’finishers », de s’arracher les tripes … oui, cela aussi contribue au plaisir.
La racine latine « competere » a donné les mots : compétiteur, compétition, compétitif, compétitivité, c’est-à-dire « se rencontrer au même point  », avec les autres, mais aussi avec soi-même ; c’est bien là aussi ce que recherchent beaucoup de coureurs avec qui j’échange ! »
Cet article est paru dans les pages conseils du numéro 241 de VO2 Run.

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