Le contre la montre pour motiver sa foulée

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Poste Le 18 août 2015 par adminVO2

Lutter contre le temps qui défile sur le cadran de sa montre est la base de l’esprit de compétition en course à pied. Certains formats de course, les contre-la-montre, ont porté ce défi à son paroxysme. Seul, contre le temps… Un exercice qui peut avoir son intérêt, comme on va le voir.
Facile à transporter et servant à mesurer ce concept développé par l’homme que les Grecs plaçaient sous la responsabilité de Chronos, la montre a fait son apparition au fil des siècles. Au début de notre ère, convaincus que le temps ne disposait que d’une seule réalité, celle de l’instant, les romains mirent au point un cadran solaire portatif. L’objet évolua, se transforma, la montre se fit gousset puis progressivement bracelet.
De celle offerte par le comte de Leicester à  la reine d’Angleterre, Elisabeth 1re en  1571, à celle qui orne le poignet d’un grand nombre de coureurs à pied, la montre bracelet a traversé le temps pour l’indiquer à tous et en tout lieu. La commodité qu’il a toujours octroyé à son possesseur permet au bijou devenu instrument de mesure  d’apporter sa contribution à la quête de performance que chaque coureur à pied s’évertue à poursuivre.
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Au rythme d’un sablier s’écoulant indéfiniment, la foulée a souvent été cadencée par la trotteuse. Quand de nos jours, seconde après seconde, les cristaux liquides imposent le tempo au sirop de l’effort,  le coureur se métamorphose en métronome. Les répétitions de distances à une allure donnée, des allemands Waldemar Gerschler et Herbert Reindell, ont établi les bases de l’interval-training avant de bouleverser l’entraînement de la fin des années 30 et des décennies suivantes.
Toutefois, sans l’appui d’une montre ou d’un chronomètre, la première étude scientifique concernant la course à pied, née à l’université de Fribourg, n’aurait pas pu la révolutionner. Sans cette mesure du temps, le britannique Roger Bannister n’aurait pu être le premier homme à descendre sous les quatre minutes au mile (3’59’’4) un beau jour de mai 1954 sur la piste du stade d’Iffley Road à Oxford. Quant au grand Zatopek (champion olympique du 5000 m, 10000 m, et marathon en 1952 à Helsinki), comment aurait-il pu être qualifié de « révolutionnaire » en raison de sa méthode fractionnée ?

Un geste devenu rituel

Dans la lignée de leurs glorieux aînés, tous les stakhanovistes de la foulée se sont retrouvés l’œil rivé sur la montre en avalant les tours de piste ou les kilomètres étalonnés sur les routes de campagne et les allées des parcs. Dès les premières poussées pédestres au-delà de la ligne de départ, combien sont-ils à  appuyer de leur index le petit poussoir entourant le cadran ? Tous savent que de cette action du doigt dépend leur régularité  ou, à défaut, leur permettra d’alimenter les conversations d’après course par : « Tu sais en combien je suis passé au premier kilo ? »
L’oreille dressée pour ne pas manquer le signal de départ, les premières poussées volontaires et simultanément l’appui digital qui déclenchera le chronomètre sont autant de gestes mécaniques qui trouvent leur place au registre des rituels inéluctables d’une course réussie.  Quand l’épreuve se conclut de la même manière, le compétiteur peut, pour répondre aux questions sur sa performance, brandir triomphalement son poignet détenteur de l’arrogante preuve de son record. Le coureur gardera longtemps à l’affichage cette source de fierté. Pourtant l’orgueil ne convient pas à décrire le sentiment ressenti. C’est seulement la preuve de la seule pensée : « Je l’ai fait ! »
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Le rayonnement de la montre sur le coureur s’inscrit dans la persuasion et l’intime conviction de posséder d’importantes réserves de santé, d’énergie et d’endurance. L’étymologie du mot enthousiasme provient du grec « en » et « theos », ce qui signifie : « qui a un dieu en soi. » Quand le ravissement connaît son apogée en raison du chiffre apparaissant devant les heures, les minutes et les secondes, la montre permet au coureur de tutoyer les anges en solitaire même si ce qu’elle traduit, rares sont ceux qui sont allés le chercher seul. Souvent, la masse du départ, le sillage d’un concurrent ou sa respiration insufflent la volonté de se faire violence pour un voyage au bout de l’effort.

La vérité du contre la montre

De sa plume sportive, l’inénarrable Antoine Blondin qualifiait de moment de vérité le contre-la-montre cycliste. Ses confrères de la presse relèvent que la stratégie d’équipe ne trouve pas sa place là où le coureur s’érige en gestionnaire de la distance et de la fatigue. Tout adepte de la course en solitaire n’évaluant pas correctement son effort le paye cash. Le magicien des mots, cité plus en avant, désignait ces coureurs sous des noms aussi variés que : « bulldozers » ou « supersoniques ».
Par ces appellations le poète de l’extraordinairement sportif relevait l’essentiel : une seule trace, à la vitesse la plus rapide possible. Dans nul autre exercice que celui du contre la montre, l’immense journaliste ne trouvait de support pour établir sa définition de la grande classe : « Le champion par essence doit être incontestable, même si par ailleurs cette essence veut que sa suprématie doit sans cesse être contestée par les autres et qu’il y trouve également son bonheur ». Avec le contre la montre, le crack livre bataille à ses adversaires par chronomètre interposé mettant à bas toute possibilité d’utilisation d’autrui pour se faire valoir. Une balade continue aux frontières des possibilités dans la plus pure lignée du « Connais-toi toi-même ».
Si les cyclistes le font, pourquoi les coureurs à pieds doivent-ils se priver d’une épreuve aussi enrichissante ? Le contre la montre permet à ses adeptes d’élargir leurs horizons, de développer les capacités, d’avoir le goût du risque, d’obéir à des tendances profondes, et d’aimer l’effort. Dans le microcosme athlétique, l’idée a fait son chemin. Le célèbre entraîneur d’athlétisme néo-zélandais Arthur Lydiard (1917 – 2004) doit sa popularité au côté ingénieux de sa méthode faisant la part belle à l’entraînement anaérobie une fois acquise une solide base aérobie tant chez le coureur de 800 m que dans  la préparation du marathonien.
Pour ce faire, l’illustre coach des Snell, Halberg, Magee, Vassala, Viren… utilisait d’abord un travail en colline dans lequel il incluait la force, la vélocité puis la vitesse. Une fois ces nouvelles bases établies, celui qui distilla aussi son savoir à Roger Bannister, invitait le contre-la-montre dans la phase finale de sa préparation. Les programmes créés par Lydiard étaient construits à l’image d’une pyramide de quatre étages dont chacun représentaient une période d’entraînement : l’endurance fondamentale,  la résistance,  l’affûtage et l’amélioration de la vitesse.
Convaincu qu’une courte période d’entraînement intense complétant un volume d’entraînement important avait une incidence considérable sur la progression, Lydiard n’hésita pas à placer dans sa période d’affûtage un contre la montre de 5 km qu’il faisait suivre d’une sortie de deux heures.  Excès d’effort ? Surentraînement ? Avec ce type d’entraînement, le stratège néo-zélandais augmentait le pouvoir tampon (assimilation des acides –ou des bases- sans variation du PH) sans modifier l’activité enzymatique responsable de la glycogénolyse ou de l’oxydation des substrats au niveau musculaire.
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Son constat sur l’oxydation prioritaire des lipides permettant la préservation des glucides pour des efforts plus intenses le confirmait dans sa volonté d’appliquer une telle pratique pour les marathoniens. Lydiard n’était plus seulement novateur dans son approche du travail en côte. Par le contre-la-montre, le maestro de la méthode invitait l’attitude compétitrice à l’entraînement pour renforcer ses élèves physiquement, physiologiquement et aussi mentalement.
Cependant, ce n’est pas une volonté de développement sportif qui a animé Jean-Paul Bouffanais créateur en 2009 du 10 km contre la montre du Château d’Olonne. Persuadé de l’adage « L’indifférence est le commencement de l’échec ! », le castel-Olonnais a voulu donner à son épreuve une dimension sociale : « On voulait que chacun ait son moment de reconnaissance. Tout coureur se doit d’être cité au départ et à l’arrivée. » Dans ce nouveau contexte, fini l’isolement, tout le monde a droit au chapitre.
La course, bien souvent, contribue à l’existentialité de celui qui la pratique. Sur la plate-forme de départ du contre-la-montre, l’individu existe pleinement comme le confirme Julien Cougnaud (ACLR), triple vainqueur (2009, 2010, 2013) : « Peu importe ton niveau, lorsque tu es dans l’attente de libérer ton adrénaline, le speaker te nomme. Ensuite quand tu cours, c’est encore toi que le public regarde.» La recordwoman de l’épreuve Olonnaise, Emilie Cherpin (OVA – 37’50) commente le déroulement de cette course atypique : « Les départs se font toutes les trente secondes en fonction des chronos d’enregistrement (du plus lent au plus rapide). De par ce fonctionnement, la solitude ne nous accable jamais. De plus l’ambiance y est très bonne car les coureurs en attente du départ ou ceux ayant franchi la ligne d’arrivée encouragent ceux qui courent. »
La première lauréate, Nadège Gautier (42’48) faisait également part de son expérience pour mettre en évidence le côté performant de ce type de pratique : « L’action de courir pour un chrono est un défi personnel supplémentaire. Les valeurs établies nous permettent de courir avec ou contre, devant ou derrière, des coureurs qui ont un niveau sensiblement similaire au nôtre. » Une saine rivalité dont Jean-Paul Boufanais souligne les vertus : « La crainte d’être doublé ou la volonté de rattraper celui qui le précède permet au compétiteur d’améliorer son propre record. »
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Depuis sa création, le contre-la-montre Olonnais est parrainé par l’un des grands du demi-fond français : Noël Tijou. Sept titres nationaux en cross-country (1967, 1969, 1970, 1971, 1973, 1975 et 1977), cinq fois champion de France du 10 000 m (1967, 1969, 1970, 1971, 1972), l’athlète d’Epinal a détenu le record de France de la distance en 1971 (28’19). Pourtant : « Je n’ai jamais participé à un contre-la-montre. J’avoue que ce type d’effort n’aurait pas été pour me déplaire ».
Car au sein du peloton, à l’avant ou à l’arrière de celui-ci, développeur de foulée de rêve ou boiteux en quête de bien-être, le coureur est un être solitaire autant que le fut l’actuel Maître du temps lors de son record de l’heure en 1972 (20,285 km). En 2013, Jocelyne Villeton (ASM St Etienne), grande Dame du marathon français 3e du marathon aux Mondiaux à Rome en 1987, est venue compléter son expérience sur le circuit Castelolonnais : « Il ne faut pas se cantonner à un type d’épreuve ou de surface. Varier, c’est encore la meilleure manière de progresser et de ne pas s’ennuyer! »

Pourquoi s’en priver ?

En compétition ou à l’entraînement, courir en solo l’œil rivé sur le chrono pour motiver le tempo n’écarte pas pour autant la notion de plaisir tout en y incluant celle de progression.  Un concept que tous les challengers du contre-la-montre peuvent cultiver grâce à leur montée d’adrénaline et poussée d’endorphine sans oublier qu’en toute chose l’excès nuit !
Texte : Michel Milcent
Photos : Yves Marie Quémener et Jean Marc Mouchet.
Cet article sur le contre la montre pour motiver sa foulée est paru dans les pages conseils du numéro 240 de VO2 Run, disponible ici.

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