La fatigue, amie ou ennemie ?

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Poste Le 10 septembre 2015 par adminVO2

Qu’est-ce qui limite la performance ? C’est la question centrale que se posent les athlètes, les entraîneurs et les scientifiques. La réponse, c’est : la fatigue. Alors que les causes de celle-ci sont assez bien connues lors de situations isolées, les mécanismes exacts sous-jacents à la fatigue lors d’activités dynamiques comme la course à pied commencent seulement à être identifiés. Comprendre les origines de la fatigue et comment elle se développe au cours de l’effort est crucial pour les athlètes et les entraîneurs. Le but du jeu est de la limiter, pour pouvoir courir plus vite, ou plus longtemps. En en connaissant ses mécanismes, le sportif ou l’entraîneur peut planifier l’entraînement pour que le corps s’adapte et résiste mieux à la fatigue. 
Comment se manifeste la fatigue?
La conséquence évidente de la fatigue est le ralentissement de l’allure de course. Mais pourquoi ralentissons-nous ? Selon certains physiologistes, la raison est simple : c’est pour protéger notre corps. Si nous allions vers des états du corps trop éloignés de l’homéostasie (l’équilibre naturel du corps), cela pourrait être dangereux. La fatigue serait donc un mécanisme de protection.
Que se passe-t-il quand nous ralentissons ? Une force de propulsion appliquée au sol est nécessaire pour se déplacer. Cette force provient de la contraction des muscles impliqués dans la locomotion. De manière simple, tant que l’athlète peut appliquer la force nécessaire adéquate au sol, il maintient son allure, sinon, il ralentit. Avec la fatigue, l’athlète n’est plus capable de développer une force suffisante ; il doit réduire sa fréquence et/ou sa longueur de foulée et donc sa vitesse.
Que se passe-t-il au niveau musculaire lors de ces changements ? Puisque la dernière étape de la contraction musculaire est dépendante de l’apport en énergie (sous la forme de molécule d’ATP), l’apport d’énergie est a priori une limite à la performance. En d’autres termes, pour retarder la fatigue, la production d’ATP (par les différents systèmes énergétiques anaérobie et aérobie) doit satisfaire la demande d’ATP par le muscle. Si la production est insuffisante, la fatigue apparaît. Cette idée est la base de la théorie « énergétique » de la fatigue. Il ne faut pas oublier cependant que les muscles sont commandés par le système nerveux central (SNC).
Le SNC est en charge de décider combien de fibres musculaires doivent être recrutées pour produire la force nécessaire au mouvement. Plus il recrute de fibres musculaires, plus la force produite sera importante. Le type de fibres recrutées (lentes ou rapides) a aussi son importance : Les fibres rapides produisent plus de force que les fibres lentes, mais se fatiguent plus vite.
De façon intéressante, on peut aussi observer pendant les efforts de longue durée une rotation des fibres musculaires recrutées. Quand certaines fibres musculaires sont fatiguées, d’autres prennent le relais, laissant les fibres fatiguées se reposer. De cette manière, la force produite reste constante. Cette marge de manœuvre est évidemment limitée dans le temps.
Un autre facteur qui peut jouer un rôle dans la production de force au sol est l’énergie élastique du complexe muscle-tendon. Lors de la première phase d’appui au sol qui correspond à la phase d’amortissement, il y a un stockage d’énergie élastique qui est en partie restituée lors de la deuxième phase, dite de propulsion : c’est ce que l’on appelle le cycle étirement-raccourcissement. Ce système peut aussi se fatiguer. En effet, les dommages musculaires et tendineux occasionnés par la course prolongée peuvent altérer les propriétés élastiques du système muscle-tendon.
Comment la fatigue s’installe ?
Plusieurs théories tentent d’expliquer l’instauration de la fatigue au cours de l’effort : l’accumulation de métabolites, la déplétion énergétique, la régulation de l’effort ou encore la perception de l’effort.
– L’accumulation de métabolites
Un métabolite est un composé organique (une petite molécule), issu de réactions chimiques se produisant dans le corps (ex. acide lactique, ammonium, ions H+, phosphate, potassium,…). L’accumulation de certains métabolites pourrait conduire à la fatigue en altérant la production de force. Cependant, la question de savoir si ces métabolites sont la cause, indirecte ou directe, de la fatigue reste ouverte dans le monde scientifique. Il existe un système dans le corps qui produit de l’énergie (ATP) en absence d’oxygène (la Glycolyse) ; mais en contre partie, ce système produit aussi un métabolite (Acide lactique = ion lactate + proton H+).
L’accumulation de protons H+, entraînant une augmentation de l’acidité (baisse du pH), nuirait au bon fonctionnement des différents systèmes énergétiques. Par exemple, les enzymes catalysant les nombreuses réactions chimiques deviendraient moins actives, ce qui ralentirait la production d’ATP, donc d’énergie. L’accumulation d’autres métabolites suite à l’exercice, comme les ions ammonium ou potassium,  pourrait nuire aussi au recrutement des fibres musculaires.
– La déplétion énergétique
Selon cette théorie, la déplétion, c.-à-d. la diminution des réserves énergétiques, conduirait à la fatigue. Nous n’avons qu’une quantité limitée de réserves de glycogène stockées dans le foie et les muscles. Cette quantité dépend du degré d’entraînement : un sportif entraîné peut stocker deux fois plus de glycogène qu’un sédentaire. Lors de l’effort, dès que cette source d’énergie commence à diminuer fortement, le corps doit faire appel à une autre source d’énergie, telle que les graisses, pour pouvoir continuer.
Fatigue
 
Les graisses constituent des stocks énergétiques quasi inépuisables pour le sportif, mais leur rendement énergétique est moins bon que celui du glycogène, expliquant pourquoi l’intensité de l’effort, donc l’allure, va diminuer. Cela se produit lors d’un marathon ou de courses de longues durées.
La fatigue est un processus dynamique, multifactoriel, qui dépend des caractéristiques du sportif et de la compétition. Il est très probable que ce soit en réalité la combinaison d’une accumulation de métabolites et d’une déplétion énergétique qui engendre la fatigue.
– La théorie de la régulation – le modèle du gouverneur central
Le physiologiste Tim Noakes a proposé un modèle intégré de la fatigue (le modèle du gouverneur central). L’idée centrale de ce modèle est que la fatigue ne serait pas directement causée par une production ou une déplétion de certaines substances. Au contraire, ces substances serviraient de feedbacks à un mécanisme de contrôle « intelligent ». Le fait est que dans ce modèle l’exercice n’est pas limité, mais plutôt régulé. Le corps utiliserait les changements d’homéostasie (état d’équilibre) de certaines substances pour réguler la fatigue.
Les feedbacks en provenance du corps (cœur, poumons, foie, muscle, température corporelle) et d’autres comme la mémoire d’un exercice, l’expérience, voire des facteurs sociaux seraient continuellement intégrés par ce gouverneur et utilisés pour réguler l’intensité de l’exercice. Par exemple, si des métabolites s’accumulent trop rapidement, le nombre de  fibres musculaires recrutées diminue, et par conséquent le coureur ralentit. Dans le modèle du gouverneur central, la fatigue peut donc être considérée comme un ami, qui viendrait protéger le corps. Selon cette théorie, la régulation serait effectuée de façon inconsciente, au contraire de la théorie de la perception de l’effort (décrite ci-après), soutenue par le Pr Samuele Marcora qui suggère une régulation consciente.
Cependant, un point reste à élucider dans la théorie de Noakes. Le gouverneur central ne peut pas expliquer les douleurs musculaires retardées (Delayed Onset Muscle Soreness : DOMS) que l’on observe après des exercices excentriques. En effet, suite à un effort avec des fortes contraintes excentriques comme la course à pied en descente, les douleurs musculaires apparaissent en général de façon décalée, 48h après l’exercice, suite aux lésions musculaires occasionnées. Pourquoi un système qui veut protéger l’intégrité du corps ne régule-t-il pas l’intensité des efforts excentriques sachant que ceux-ci sont fortement dommageables pour le muscle ?
– La perception de l’effort
Une théorie alternative a été proposée récemment par Le Pr. Samuele Marcora pour expliquer la fatigue. L’originalité de cette théorie est qu’elle intègre des composantes psychologiques et physiques ; on parle de modèle psycho-biologique. Le ralentissement de l’allure de course, voire l’arrêt de l’exercice, serait en fait un désengagement de l’effort. Ce désengagement se produirait quand le sujet pense qu’il vient de réaliser un effort maximal et qu’il perçoit la poursuite de l’exercice à cette allure comme impossible.
En simplifiant, la tolérance à l’effort peut être représentée par un seuil ou un niveau de référence limite fixé par le sujet. La perception de l’effort pendant l’exercice permet au sujet de se situer par rapport à ce niveau de référence. L’épuisement ou l’arrêt de l’exercice se produit quand la perception de l’effort dépasse le niveau de référence ; le sujet va alors consciemment se désengager de la tâche. Donc, tant que la perception de l’effort est en-dessous de cette référence, l’exercice continue. Dès que la référence est dépassée, le sujet se désengage de l’effort.
Chacun aurait son propre seuil de tolérance à l’effort. Plusieurs facteurs, en plus de la perception de l’effort, peuvent moduler ce seuil de tolérance comme la motivation du sujet, la connaissance de la distance/temps à effectuer ou qu’il reste à effectuer, ou même les expériences passées. Il apparait dès lors que la sensation de fatigue pourrait être altérée en jouant sur la perception de l’effort et la motivation.
La perception de l’effort est en général estimée à partir d’une échelle analogique comme l’échelle de Borg, graduée de 0 à 10 ou de 6 à 20. Ce type d’échelle est d’ailleurs de plus en plus utilisée dans le domaine de l’entraînement pour évaluer la charge de travail « psychologique » lors d’une séance.
La différence entre ces théories qui tentent d’expliquer pourquoi la fatigue s’installe lors de l’effort est parfois subtile, mais ces modèles peuvent nous aider à appréhender certains aspects de l’entraînement d’une autre manière.
Texte : Romuald Lepers, enseignant-chercheur à l’Univeristé de Bourgogne

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