Etat d'esprit : à chacun son ultra

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Poste Le 4 janvier 2016 par adminVO2

Chaque fois que j’écoute une publicité, j’ai la sensation de manquer d’air, à entendre ce débit pour dire le plus de choses possibles en quelques secondes. Est-ce pour contrebalancer cette compression du temps et de l’expression, cette tendance de notre société à multiplier les informations en un temps record que se développent les courses de plus en plus longues comme l’ultra trail ?
Il y a peu, cette discipline était réservée à quelques coureurs  »solitaires », comme G. Pétillon : « 46 ans de dossard, 1ère 6000 D et Diagonale des fous ». « Un jour, je courais au-dessus de St Gervais. A mon retour en bas, j’étais attendu par les gendarmes, prévenus par des montagnards qu’un  »fou » courait en basket et se mettait en danger ! »
Si je comprends cette attirance pour vivre sa passion de la course dans un environnement naturel et exceptionnel, la découverte de nouveaux pays et paysages, l’aspect mythique, l’aventure d’un moment hors du temps chargé en émotions, le partage,… elle m’inquiète aussi :  j’ai la sensation, comme ça a été le cas pour le marathon, que faire partie de la communauté des runners, c’est s’affranchir de courses de plus en plus longues et difficiles. Si les meilleurs du moment semblent maîtriser leur sujet, ce n’est pas forcément le cas dans le peloton. Sans oublier que les difficultés ramènent souvent la course à plus de 2/3 de marche !
Le référent FFA sur trail et 24h, P. Propage, évoque un point clef de cet engouement : l’absence de chrono, pour les jeunes qui arrivent et n’ont pas cette notion, comme pour les  »anciens » ayant atteint leurs limites sur le plus court, qui ressentent l’usure d’être toujours dans  »le rouge » et comme le dit S. Court (Vainqueur de l’Ecotrail de Paris) :  « le rythme est plus confortable, on n’est pas dans le dur toute la course ». Ce sont d’autres chiffres qui remplacent les minutes et secondes : les heures, les kms, le dénivelé, le nombre de ravitaillements, de gels,etc…
VOYAGE AILLEURS ET VOYAGE INTERIEUR
Pour N. Mauclair (championne du monde 2013 de trail sur 75km et 3ème du 100 miles Western States, en 18h43’57), « l’ultra est un prétexte pour être hors du temps, car sinon je suis toujours en mouvement ». T. Lorblanchet (champion du monde de trail 2009, 4 fois vainqueur des Templiers) parle également de cette « faille spatio-temporelle, un état basal où tu dois gérer les difficultés tout seul, c’est un retour sur ton histoire et tes objectifs de vie, à ton investissement et celui de ta famille. Il se passe des choses où l’entraînement ne suffit pas (nutrition, sommeil, mental) et j’ai envie de progresser dans ces différents domaines ».
Vincent Espaule-Benoit, m’a parlé, lui, de sa recherche plus spirituelle que de performance. « Pendant la course, je suis ultra concentré, je ne regarde pas le paysage mais j’en fais partie et je vis la course assez replié sur moi, en gardant au maximum mon énergie pour finir la course, je déverse le trop plein d’émotions à l’arrivée… autorisé dans ce cadre là ».

Saintélyon (Photo Gilles Reboisson)
Saintélyon (Photo Gilles Reboisson)
Ludovic me parle d’introspection, mais aussi de belles histoires de relations humaines, de partage, où tous les masques tombent.
Il y a dans ce que j’ai pu entendre parfois quelque chose du poème de J.Maria de Hérédia « les conquérants », avec « l’ivresse d’un rêve héroïque et brutal, … Ils allaient conquérir le fabuleux … » pic du Maido ou col du Bonhomme.
Il y a parfois la recherche d’un vécu héroïque : comme dans les histoires mythiques, avec un départ, des épreuves pour trouver un élixir, un retour triomphal chargé d’émotions et le partage de l’élixir avec d’autres.
PAS DE CHRONO, PAS DE BOBO ?…
Jean-Michel Serra, médecin des équipes de France (entre autres des 100kms et  24h route) souligne que « la traumatologie en trail est liée au dénivelé (entorses, chutes) et à la météo (terrain glissants, éboulis); mais les problématiques sont plus physiologiques que mécaniques, et du coup plus insidieuses: ces efforts tirent sur le métabolisme en affaiblissant le foie et les reins, aggravé en cas de prise médicamenteuse (anti-inflammatoires). Si les meilleurs se gèrent bien, un grand nombre multiplie ce type d’épreuves, en ayant l’impression d’avoir récupéré parce que peu de séquelles musculaires ».
Se lancer dans l’aventure nécessite une préparation spécifique, ce qui ne me semble pas être toujours le cas, surtout dans le peloton où il y a beaucoup de casse. D. Uliana est attiré par l’ultra pour découvrir d’autres horizons mais il voit passer dans son magasin beaucoup de clients qui ne peuvent plus courir suite à des pathologies de genoux, de dos… après avoir enchaîné pas mal de courses dures.
QUELLES LIMITES ?
« Aucune », m’a répondu Ludo, « on a pour limites, … celles que l’on accepte ! » Et il n’a de cesse de vouloir les repousser  (3 ultra en moins de 10 semaines) sur un terrain de jeu plein d’embûches et d’imprévu, au maximum en autosuffisance.
Au contraire, il en est question pour Guillaume Millet, professeur de Physiologie et pionnier de courses mythiques (trois places dans les 6 premiers à l’UTMB, 3ème au premier Tor des Géants (Il a été longuement blessé ensuite). « L’ultra, c’est fleurter avec les éléments naturels et ses propres limites. Ce n’est pas anodin comme effort et on les touche parfois ».
Quoi qu’il en soit, l’ultra ne doit pas être un passage obligé pour les coureur(ses) aimant la nature. Il n’ y a pas de honte à courir  »seulement »  5km ou 10km, quelle que soit l’allure, pas de  hiérarchie dans la valeur de l’effort selon la distance.
J’ai dernièrement participé à un  »petit » trail (15km), et dans une côte où courir devenait compliqué, un coureur me double et me dit « ah, c’est plus dur que le cross, hein ? ».
Comme le dit T. Lorblanchet, « Chacun a son ultra quelle que soit la distance, par rapport à ses capacités et son entraînement ». En fait, maintenir l’allure 15 minutes à 100% ou presque de sa V02max, c’est un ultra dans son genre !
Pierre AMBROISE-BOSSE, récent recordman de France du 800m (1’42 »53) a lui aussi cet objectif de repousser ses limites, de maîtriser les divers paramètres de la préparation et de la compétition, de savourer une course, vécue « comme dans un rêve »…
NB : Je vous conseille le livre de G. MILLET « Ultra-trail – plaisir, performance et santé » – Outdoor éditions 
Cet article sur la manière d’améliorer son mental est paru dans les pages conseils du numéro 237 de VO2 Run, disponible ici. Plus de conseils et bien d’autres choses à lire dans le numéro actuellement en kiosques.
Texte : Annette Sergent (double championne du monde de cross en 1987 et 1989, médaillée de bronze aux championnats du Monde de cross en 1986 et 1988, médaillée de bronze sur 10 000 m aux championnats d’Europe 1990).

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