Entraînement : scientifiques et entraîneurs, dialogue de sourds ?

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Poste Le 9 septembre 2015 par adminVO2

L’entraînement est un vaste chantier. Avec d’un côté les scientifiques, qui résonnent de façon isolée ou segmentaire, essayant de quantifier les effets physiologiques exacts d’une seule variable (V02max par exemple). Et de l’autre, les entraîneurs, acteurs du terrain, qui s’intéressent au résultat final, ou aux effets globaux de l’entraînement. Parfois difficile de faire cohabiter ces deux parties. Et si, pour renouer le dialogue, une approche intégrée et globale de l’entraînement était nécessaire ? Explications…
Il existe de nombreuses questions sans réponses dans le domaine de l’entraînement des coureurs à pied. De nombreux débats existent encore, concernant les mécanismes précis qui limitent ou induisent la fatigue, et donc limitent la performance. D’un point de vue scientifique, il semble difficile de proposer des recommandations pour lutter contre la fatigue, alors que les mécanismes exacts sous-jacents restent incertains. Les travaux menés par des chercheurs comme Tim Noakes sur le modèle du gouverneur central, ou par Samuele Marcora sur le modèle de la perception de l’effort essaient pourtant de répondre à cette question. Certains chercheurs suggèrent même que les modèles proposés pour expliquer les déterminants de la performance doivent être revisités.
Ces changements de points de vue nous interrogent alors sur le bien-fondé de considérer par exemple la VO2max comme une mesure de l’endurance, alors que c’est la seule variable physiologique qui a été vraiment étudiée grâce à sa facilité de mesure, et que la  VO2max est quasiment identique chez les athlètes de haut niveau. Ceci pose certaines questions : pourquoi autant d’études ont été réalisées pour essayer de caractériser un paramètre qui ne change pas beaucoup, voire pas du tout chez les athlètes très entraînés ?
De plus, la validité des recommandations d’entraînement, basées uniquement sur l’amélioration de paramètres comme la VO2max ou le seuil lactique, peut être remise en cause quand des changements de ces paramètres ne riment pas avec une amélioration des performances. De même, utiliser des pourcentages de VO2max comme un moyen de quantifier l’entraînement peut aussi être discutable, étant donné que ces pourcentages correspondent souvent à des grandes différences de stimuli physiologiques.
Il est donc difficile de donner des conseils sur l’entraînement dans le but d’améliorer la performance, quand les mécanismes exacts qui limitent la performance ne sont pas connus. L’objectif de la recherche en sport est de donner des recommandations pratiques aux entraîneurs sur la manière de préparer les athlètes à être performant. Pourtant, les travaux de recherche se focalisent plus souvent sur les modifications d’un paramètre physiologique particulier au lieu de s’intéresser à l’évolution des performances de l’athlète.
Photo 1Au lieu d’essayer de trouver la séance d’entraînement « magique » censée améliorer les performances, les chercheurs devraient plutôt essayer d’expliquer pourquoi les séances proposées par les bons entraîneurs ont des répercussions positives. Les innovations dans le domaine de l’entraînement en athlétisme viennent quasiment toujours des sportifs et des entraîneurs ; ensuite la science arrive, et tente d’expliquer pourquoi cela fonctionne.
Il y a souvent un fossé entre les résultats des travaux de recherche sur l’entraînement et l’approche réelle de l’entraînement pratiqué sur le terrain, par les entraîneurs. Par exemple, beaucoup de scientifiques prônent une approche de l’entraînement basée sur la qualité plutôt que la quantité, c.à.d. un faible volume et beaucoup plus d’intensité. Cependant, pratiquement aucun des meilleurs coureurs d’endurance ne suit réellement cette approche. Il est facile pour un chercheur de dire que les athlètes devraient suivre une approche opposée, mais en réalité les athlètes Elite ont vraisemblablement développé des modes d’entraînement plus efficaces que ceux émanant des laboratoires.
Il y a plusieurs raisons à cette différence, comme par exemple la durée (trop courte) des périodes d’investigations dans les études scientifiques par rapport à la réalité du terrain. Comme il est difficile de s’affranchir de ce genre de limites, il paraît plus essentiel de repenser l’approche voire le but des études sur l’entraînement.
Cette incompréhension entre chercheurs et entraîneurs se retrouve aussi dans la définition des intensités d’entraînement. En effet, la plupart des études scientifiques classe les intensités d’entraînement en fonction de variables physiologiques telles que la VO2max ou le seuil lactique. Alors que la plupart des entraîneurs définissent ces intensités en fonction des différentes allures de course, c.à.d. en pourcentage des allures de course. De ce fait, les séances d’entraînement, basées sur l’allure de course proposée par les entraîneurs, sont souvent plus spécifiques que celles reposant sur des données physiologiques.
Par exemple, un entraîneur est capable de voir une différence entre un même athlète qui court un 800m en 2’30’’ ou en 2’35’’ alors que ces allures (environ 3’10’’ au kilomètre) correspondent à des intensités très proches quand elles sont exprimées en pourcentage de VO2max. En effet, la classification des intensités d’entraînement en certaines zones, exprimées par exemple en pourcentage de VO2max ou de FCmax, ne tient pas compte des différences entre les allures de course.
Insep dŽcembre 2012 - Pierre Ambroise Bosse
 
Cet exemple amène à la conclusion évidente que les études scientifiques doivent utiliser des protocoles adaptés qui imitent ce qui est réellement fait dans le monde réel de l’entraînement, c.à.d. sur le terrain. En effet, il est rare de voir des athlètes répéter les mêmes séances de rythme 2 à 3 fois par semaine pendant 6 semaines comme cela est fait lors des protocoles de recherche étudiant l’effet physiologique d’un entraînement particulier. Les effets de ce type d’entraînement seront sûrement différents si celui-ci est accompagné d’autres stimuli d’entraînement comme cela est fait en réalité.
Etonnamment, très peu d’études scientifiques existent sur la planification et la périodisation de l’entraînement en microcycles, mésocycles et macrocycles. Bien que cela soit pratiqué de façon courante, aucune étude n’a vraiment montré qu’alterner des jours « durs » et des jours « faciles » à l’entraînement était plus bénéfique que d’autres sortes de périodisation. De même, très peu d’études ont montré que la périodisation était préférable à une répétition quotidienne de séances similaires. Quelques auteurs ont suggéré la nécessité de la périodisation, mais aucun n’a réellement évalué son efficacité. La science dit que les adaptations en endurance peuvent se produire de différentes manières nécessitant des stimuli différents : le volume et l’intensité ; mais aucun n’est meilleur que l’autre, et il est important d’utiliser ces deux stimuli à l’entraînement. En d’autres termes, la périodisation semble être la clé.
Enfin, vu le nombre important d’études montrant une réponse individuelle à l’entraînement et les points de vue contrastés entre le volume et l’intensité, on peut se demander si on a prêté assez d’attention, à ce jour, aux différences inter-individuelles en réponse à l’entraînement. La grande variété des programmes d’entraînement, tous efficaces pour améliorer les performances, est embarrassante, au final, pour le chercheur et l’entraîneur.
La vérité est que l’adaptation au stress de l’entraînement est surtout très individuelle. Par exemple, la quantité de fibres rapides et lentes qu’un athlète possède dans ses muscles peut jouer un rôle dans sa réponse à un entraînement plus axé sur le volume ou sur l’intensité. Par conséquent, de nombreuses études sur la réponse individuelle à l’entraînement sont nécessaires.
En dépit des nombreux travaux de recherches réalisés sur l’entraînement, en particulier dans le domaine de l’endurance, il ressort que l’entraînement des coureurs basé uniquement sur des données scientifiques n’est pas, à ce jour, une approche véritablement efficace en termes de performance. Rompre avec les études classiques réalisées en laboratoire et s’intéresser à certaines méthodes d’entraînement utilisées par les entraîneurs sur le terrain, serait un premier pas pour réduire le fossé entre la théorie et la pratique. Jusqu’à présent, peu de crédit est donnés aux études de laboratoire par les entraîneurs et les athlètes, principalement à cause de deux facteurs.
Quel est le problème quand on veut appliquer la recherche à la réalité du terrain ? 
Premièrement, les résultats des études en laboratoire sont rarement applicables au monde réel de l’entraînement. Deuxièmement, à cause des mesures utilisées et de la durée des études, les expérimentations scientifiques ne correspondent pas à la réalité du terrain, en particulier pour les athlètes Elite. Cela crée des situations où même les entraîneurs dotés d’un bagage scientifique se fient plutôt à la théorie et à l’expérience plutôt qu’aux données récentes de la recherche. Peut-être qu’en imitant ce qui est fait par les entraîneurs, tels que les schémas de périodisation utilisés, la recherche pourrait gagner un peu de crédibilité en termes d’applications pratiques envers les entraîneurs et les athlètes.
Quel est le problème quand on veut appliquer la recherche à la réalité du terrain ?  Quand un scientifique s’intéresse à la course à pied, il a souvent une approche parcellaire où il essaie d’isoler une variable. Son but est de comprendre comment une session d’entraînement peut affecter une variable physiologique donnée. C’est ce que l’on appelle une approche « isolée ». Par exemple, quel type d’entraînement va augmenter spécifiquement le seuil lactique ou améliorer la capacité « tampon » qui permet de résister à l’acidose musculaire induite par la production d’acide lactique ?
Si par exemple, on montre qu’un entrainement X améliore la capacité « tampon » de l’organisme, alors un athlète doit réaliser cet entraînement spécifique pour améliorer cette capacité. Comme cette capacité « tampon » est un facteur limitant sur certaines courses, types 400m et 800 m, on s’attend à ce que ses performances sur ce type d’épreuves s’améliorent.
Cependant, en appliquant cet entrainement spécifique X, il y a des chances que l’athlète ne progresse pas comme prévu et que l’entraîneur devient alors dubitatif par rapport à la science ou pense que son athlète n’a pas travaillé assez dur pour que cela fonctionne. Si l’entraîneur amène son athlète dans un laboratoire pour un test, on verra vraisemblablement une amélioration de son pouvoir « tampon » en réponse à l’exercice. L’entraîneur deviendra alors perplexe et pensera que son athlète n’est finalement pas si fort que cela car l’entrainement X aura réellement induit ce qui était attendu en matière de réponse physiologique.
Cependant, la raison à cet échec relève de la logique car elle n’est ni de la faute de l’entraîneur, ni de l’athlète, ni même de la recherche. La capacité « tampon » a augmenté comme la science l’avait prédit, mais on doit avant tout regarder les effets globaux de cet entraînement X, et pas seulement l’effet isolé. L’effet isolé est une amélioration de la capacité « tampon » mais l’effet global (performance) n’a pas été analysé dans son ensemble. Par exemple, un autre effet non souhaité, mais bien réel, a pu se produire suite à ce type d’entraînement spécifique, comme une diminution de la capacité aérobie due à la grande acidose endurée par l’athlète afin d’améliorer son pouvoir « tampon ». Donc au final, ces deux effets combinés (augmentation du pouvoir tampon et diminution de la capacité aérobie) ont eu un effet global plus faible que celui escompté.
Cet exemple illustre bien la différence d’approche entre un scientifique et un entraîneur. Les scientifiques résonnent de façon isolée ou segmentaire car ils essaient de quantifier les effets physiologiques exacts d’une seule variable. D’un autre côté, les entraîneurs s’intéressent au résultat final ou en d’autres termes aux effets globaux de l’entraînement. Pour renouer le dialogue, les chercheurs en sport doivent arrêter de raisonner en matière d’effets isolés d’un entraînement, mais penser plutôt à l’effet global que cet entraînement aura sur l’athlète. Une approche intégrée et globale de l’entraînement est donc nécessaire. Les différences d’approches et de perspectives entre les entraîneurs et les chercheurs expliquent pourquoi, à ce jour, la grande partie de l’entraînement des meilleurs coureurs relèvent de pratiques issues du terrain et malheureusement pas assez des laboratoires.
Cet article est paru dans les pages conseils du numéro 237 de VO2 Run. Retrouvez également le numéro 240 de VO2 Run, actuellement en kiosque et disponible ici.
Texte : Romuald Lepers, enseignant-chercheur à l’Université de Bourgogne.
Photos : Yves-Marie Quémener et Franck Oddoux.

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