Course de fond : à chacun son extrême !

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Poste Le 4 septembre 2015 par adminVO2

La particularité de la pratique de la course à pied hors des stades, c’est de pouvoir s’éprouver sur toutes sortes de formats et de terrains de course. Aussi il n’est pas rare de voir basculer par exemple certains coureurs du marathon au trail et inversement, l’élément moteur étant bien souvent d’y trouver un certain plaisir. Cependant il est indéniable que l’apprentissage de ces disciplines demande une certaine attention, car il existe une spécificité des pratiques, dérivant même vers l’extrême. L’approche de l’entraînement en est directement affectée. C’est ce que nous allons tenter de vous démontrer.
Entre la course de fond, la course à pied, la course de montagne, la course sur route, et désormais le trail, diverses manières de pratiquer ont émergé avec force les unes après les autres depuis une quarantaine d’années. La course à pied hors des stades est donc un objet d’étude complexe et hybride.
Par ailleurs, les controverses sur les motivations profondes de ses adeptes sont aussi nombreuses que virulentes et il est parfois délicat de cerner les contours précis de sa pratique. Par exemple le «footing» et le «jogging» sont utilisés par certains pour maigrir ou pour la condition physique et par d’autres comme un moyen de préparer des efforts aussi intenses que le marathon ou le trail (1).
Etablir en plus des continuités avec les fondamentaux de l’athlétisme – courir plus vite ou plus longtemps, sauter plus haut ou plus loin, lancer plus loin – n’est donc pas du tout, vous en conviendrez, évident.
Il existe donc une diversité de pratiques au sein même de la discipline athlétique qu’est la course à pied et il nous paraît évident à en cerner certains contours car son entraînement en est directement affecté.
En fait il existe en parallèle à l’histoire traditionnelle de l’athlétisme français une histoire de la course à pied hors des stades, une pratique dite libre (Fig. 1). Cette nouvelle façon de concevoir l’athlétisme apparaît au tournant des années 1970 et s’apparente plutôt à une population avide de nouvelles aspérités, orientée vers l’autonomie et l’évasion.
Elle permet de conquérir un territoire jusque-là convoité par les accrocs du chronomètre, les adeptes du résultat absolu que sont les coureurs sur piste. C’est un phénomène redondant pour les instances dirigeantes de l’athlétisme et qui leur échappe bien souvent, car les personnages issues de ces mouvements sont de véritables trublions. L’histoire de la course sur route puis du trail sont issues de ce mouvement, sorte de glissement logique d’une revendication sans cesse affichée d’une pratique partisane et spontanée où la recherche du plaisir n’a de cesse d’être répétée.
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Fig.1: comparaison de la pratique de la course hors stade sur piste
Malgré tout, cette pratique dite libre a donc des conséquences directes sur la manière de s’entraîner selon les visées plus ou moins « performatives » de ses adeptes. On peut ainsi s’apercevoir que l’on a plutôt glissé vers une uniformisation de ces compétitions en «formatant» en quelque sorte les classements sur route (10km, 21,1km, marathon, 100km), le chronomètre devenant ainsi la valeur de référence. L’entraînement s’en trouve donc directement affecté car il faut être précis dans «ses temps de passage» et dans la science du rythme.
On y vise en quelque sorte une performance chiffrée, voire une barrière chronométrique (comme avec les «donneurs d’allures» sur certains marathons par exemple). La pratique du trail a certainement permis de casser en quelque sorte ce schéma, car l’athlète est plutôt livré aux difficultés du terrain et au besoin de contrôle permanent de sa gestion de course.
La lutte contre le chronomètre semble donc secondaire (si on fait abstraction des barrières horaires pour les derniers concurrents) et d’autres paramètres semblent primer comme la lutte contre des défaillances physiques ou les problèmes alimentaires par exemple. Cependant, avec la massification  et la démocratisation de la pratique, on voit resurgir une certaine volonté d’uniformiser, de classer, comme pour assoir une certaine reconnaissance de la discipline. L’exploit et surtout le «dernier record», médiatisé par les journalistes sur l’épreuve de l’Ultra Trail du Mont Blanc® établi par François DHAENE en 20h11’ en est une bonne illustration.
Les exploits chiffrés de Kilian JORNET sur tous les sommets du monde (notamment son projet «Summits of my life»), ou la volonté de battre le record de la traversée du GR20 en Corse en sont également des exemples flagrants.
Hier réservées à quelques baroudeurs, les pratiques extrêmes s’ouvrent donc aux yeux d’un large public: «que ce soit en marchant, en courant, en pédalant, ou en glissant sur l’eau, la neige, l’air, la recherche de l’extrême occupe une place de choix, au cœur des comportements sportifs contemporains». (Olivier BESSY, 2005).
Malgré tout, il est absolument primordial d’éclaircir le débat. En effet, ces exploits demeurent des exemples qu’il ne faut pas banaliser (voire copier), car tout comme la génétique et les prédispositions qui nous sont offertes à notre naissance, les facultés extraordinaires de ces athlètes sont exceptionnelles (2). Aussi et à ce stade il est nécessaire de discerner plusieurs manières de pratiquer ces extrêmes, sortes de typologies qui nous séparent, comme:
– l’extrême d’aventure qui appartient à l’univers des « premières fois » (ascensions, traversées, explorations…): en montagne, on décide par exemple d’ouvrir une nouvelle voie en alpinisme. Peu d’élus, quelques génies, et une énorme prise de risque (3).

  • l’extrême sportif qui lui se distingue par le fait qu’il existe une initiative de tenter un record sur un parcours déjà conquis et balisé. La forme du défi peut d’ailleurs être surprenante ou impressionnante (sans oxygène, sans matériel…). Ainsi s’engager à traverser les États Unis en courant ou tenter de battre le record le record du Kilimandjaro, voire de l’Everest, en sont des expressions bien imagées (4).
  • l’extrême de masse enfin, qui peut faire devenir Monsieur et Madame tout le monde des héros de leur pratique: les ultra traiteurs font par exemple l’expérience de leurs limites sur des terrains et dans des défis balisés, reconnus, mais loin des records: «si dans l’extrême d’aventure est posée la question de l’adaptation d’un individu à un environnement qu’il s’agit d’explorer dans des circonstances inconnues, dans l’extrême de masse est posée la question inverse : comment un individu mené au-delà de ses limites ordinaires va-t-il s’adapter à un environnement davantage connu ? » (Paul YONNET, 1998).

Ce dépassement de soi n’est donc pas l’apanage du sportif de haut niveau ; il existe aussi un dépassement de soi du sportif anonyme, confronté dans l’effort à ses limites. Ainsi en est-il du marathonien occasionnel qui va au bout de lui-même ou de l’ultra trailer qui veut «coûte que coûte» terminer l’épreuve. L’ambivalence de cette excellence sportive apparaît dans cette approche de la limite qui interroge sur les finalités de l’entraînement, entre la mesure et la démesure, l’équilibre et le déséquilibre. En effet la question qui nous interpelle est la suivante : si le champion est un être exceptionnel et exceptionnellement entraîné, doit-il être à ce titre un modèle ?
Cette question peut suggérer qu’on oppose le sport d’élite au sport de masse (voire au sport santé voire ou au sport loisir). Or l’opposition est simpliste puisque la compétition n’exclut ni le plaisir ni l’accomplissement de soi, de même que le sport amateur ou de loisir ne nie pas le dépassement de soi le plus acharné, celui de se dépasser. Pour soi-même, on teste ainsi son terrain d’aventure, qui n’est pas tout le temps une affaire de distance, mais de performance réalisée en fonction de son potentiel et de ses moyens physiques.
Terminer un marathon ou une épreuve de 50km en trail peut relever de l’exploit en fonction de son patrimoine génétique, mais aussi de ses possibilités socio-professionnelles. Et c’est sur ce dernier point que l’accent doit être mis à l’entraînement, ce qui est parfois loin d’être le cas.
En effet, pour demeurer un plaisir il faut bien comprendre que le corps n’est pas mathématique et qu’il lui faut acquérir sur de longues périodes les effets de l’entraînement, en assimilant le pattern gestuel de la pratique. Sorte de capital corporel, la course à pied peut ainsi devenir tantôt un mode de vie, tantôt un exutoire.
Globalement il nous semble primordial d’intégrer une des dominantes les plus importantes de l’entraînement: la patience. Car la course à pied est en fait un très long apprentissage, celle du geste juste et répétitif, cyclique et économique, ce que l’on nomme aussi l’efficience, qualité essentielle que nous aborderons dans une prochaine partie.
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Figure 2: Tendance actuelle du glissement de la course hors stade
«Du marathon à la pratique extrême du trail alpinisme» (Eric LACROIX, 2014) (1). La course à pied est également perçue comme une pratique informelle, du «souci de soi», du «bien-être», et il semble délicat de distinguer parmi ces éléments ceux qui permettraient la construction d’une véritable histoire de la course à pied « hors stade » ancrée dans le temps long. Ainsi le «jogging», est un terme importé des États-Unis dans les années 1970 et représente un phénomène de mode tourné vers le bien-être et pour se soucier de sa ligne. De même, le footing, qui selon le dictionnaire le Robert, se définit comme «une promenade hygiénique à pied», ne peut sans précaution se vanter d’exister en tant que pratique compétitive.
Mais le sujet qui revient aussi souvent avec l’alpinisme et la montagne extrême c’est bien de « jouer » avec la mort, jusqu’au jour ou… Jouer, c’est bien cela, car Tom PATEY avait lui-même inventé des définitions assez surprenantes:

  • « grimpeur » solitaire: homme qui tombe tout seul
  • « novice »: personne qui, si elle n’est pas décédé, devrait se tenir à l’écart de la montagne
  • « grimpeur expérimenté » : dont la mort est inévitable

À méditer, donc, quand le vertige physiologique se double d’un vertige métaphysique.
(1) La course à pied est également perçue comme une pratique informelle, du «souci de soi», du «bien-être», et il semble délicat de distinguer parmi ces éléments ceux qui permettraient la construction d’une véritable histoire de la course à pied « hors stade » ancrée dans le temps long. Ainsi le «jogging», est un terme importé des États-Unis dans les années 1970 et représente un phénomène de mode tourné vers le bien-être et pour se soucier de sa ligne. De même, le footing, qui selon le dictionnaire le Robert, se définit comme «une promenade hygiénique à pied», ne peut sans précaution se vanter d’exister en tant que pratique compétitive.
(2) Par exemple, les facteurs génétiques contribuent pour 25 à 50% au gain possible de V02max. Ils expliquent ainsi la grande variabilité des réponses à un même programme d’entraînement (C. Bouchard et al., 1999).
(3) Le risque, le rêve, le fantasme, le désir d’appropriation sont habités par la présence muette de la mort (dixit Terray en 1961). L’exemple de Tom PATEY, pionnier de l’escalade glaciaire extrême est éloquent à ce propos. Après son accident mortel, de nombreuses personnes parlent: « c’est tellement injuste, si incroyable, il était si fort, indestructible… »
(4) On touche ici un domaine en pleine évolution qui est celui du «trail-alpinisme». Cet extrême sportif se distingue ainsi de notre pratique quotidienne par une véritable prise de risque et par une génétique hors du commun.
Texte : Eric Lacroix
Photos : Jordi Saragossa

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