Athlétisme

Mondial de Moscou : la folle joie de Murielle Ahouré sur 100m

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Poste Le 13 août 2013 par adminVO2

Déjà médaillée d’argent à Istanbul en salle sur 60 m, Murielle Ahouré remporte à nouveau l’argent sur 100 mètres en 10′. Pur produit du système de formation à l’américaine, la sprinteuse n’en reste pas moins un vrai symbole pour la jeunesse ivoirienne traumatisée par 11 ans de guerre interne. Elle peut espérer une nouvelle médaille sur 200 mètres.
A l’heure des bilans, lorsque tout proche, le temps de la retraite aura sonné, Lamine Diack, le président de la Fédération Internationale d’Athlétisme sera bien contraint d’avouer au moins un échec. Symbolique au possible. Ne pas avoir réussi à développer l’athlétisme en Afrique de l’Ouest, autant francophone qu’anglophone. Et cela malgré les efforts de la Confeges dans les années 90 alors que le centre d’entraînement de Dakar, lui aussi n’a pas joué pleinement son rôle de catalyseur. Le bilan est sans appel. En 14 championnats du monde, seules 12 médailles ont été conquises par des athlètes de l’Afrique de l’Ouest dont 6 pour le seul Nigeria. Dans ce décompte, une seule en or a été remportée par la sénégalaise Amy Mbacke Thiam en 2001 à Edmonton sur 400 mètres. Depuis 2007, c’était même la disette avant que Murielle Ahouré ne vienne enterrer le mauvais sort en remportant l’argent sur 100 mètres en 10 »93.
Alors que l’athlétisme dans sa partie demi fond s’est développé au point qu’il soit qualifié d’industrie du running, au Kenya dans un premier temps puis en Ethiopie lorsque le pays versa totalement vers un système libéral, l’Afrique de l’Ouest, à l’inverse, du Sénégal au Nord, jusqu’au Congo Brazzaville au sud en suivant la côte du golfe de Guinée, n’a jamais réussi à jeter les bases d’un développement quelconque.
Les causes sont connues, instabilité politique, coups d’état, rebellions, crise économique, manque de structures scolaires et d’équipements sportifs, montée de l’islam radical…En cela la Côte d’Ivoire a cumulé tous les maux possibles lorsque le pays se scinda en deux, en une guerre interne, plongeant le pays dans le chaos. C’est justement cette guerre, les années Laurent Gbagbo marquées par l’installation d’une corruption généralisée, un pouvoir autoritaire confié à des milices, les discriminations ethniques qui feront fuir Murielle Ahouré. Elle n’a que 14 ans lorsque Mathias Doué, son père adoptif, chef d’état major sous les ordres du Général Guéi, décide de mettre Murielle à l’abri des violences, des exactions et des règlements de compte. Direction la France puis les Etats Unis, dans l’état de Virginie dans un premier temps, réfugiée chez une tante. Elle y découvre alors la paix, le besoin d’étudier, de se construire et de faire du sport.
Et c’est grâce à son physique et des qualités naturelles exceptionnelles qu’elle s’oriente vers le sprint. Dans ce parcours, un homme lui tiendra la main. Caché dans l’ombre. Il s’agit de Serge Doh. Un ancien athlète qui après avoir séjourné longtemps en France en région Picarde où les milieux socialistes se souviennent de son engagement chez les jeunesses socialistes et aux côtés de Lionel Jospin dans sa campagne présidentielle en 2002. Ancien lanceur lui-même, il sera champion d’Afrique au disque en 1996, il viendra au secours de cette jeune étudiante pour qu’elle puisse séjourner sur le sol américain. Depuis, il est resté son manager même s’il exerce la profession de businessman aux Etats Unis et dernièrement pour qu’elle puisse se préparer au mieux pour ce Mondial. Pour cela, il est intervenu directement auprès d’Alassane Ouattara le nouveau président Ivoirien, pour qu’une bourse de préparation lui soit versée.
Déjà médaillée d’argent sur 60 mètres en salle à Istanbul, Murielle Ahouré, vice championne du monde sur 100 mètres à Moscou, a fait pleurer un pays à la recherche de symboles dans cette période post traumatique où les plaies ne sont pas encore toutes refermées. Et qu’importe si celle-ci fut détectée aux Etats Unis et non dans son pays natal, qu’importe si elle fut à deux doigts de prendre la nationalité française, qu’importe s’il s’agit au final d’un pur produit du centre d’entraînement de Houston au Texas, une académie du sprint ultra performante où elle se prépare aux côtés du coach jamaïcain Allen Powel. Encore sous la pression d’une telle réussite, Murielle Ahouré, est arrivée pimpante devant la presse. Le rouge à lèvres étincelant «c’est ma couleur préférée mais uniquement pour mes lèvres ». Son rire est en cascade pour alimenter ce puits de bonheur. Celui d’une jeune femme belle comme une nuit radieuse c’est normal de se maquiller, des millions de personne me regardent». Puis entre deux grands fous rires, elle reprend la justesse d’un propos qu’elle veut engagé, presque militant. «Notre jeunesse a besoin d’espoir surtout après la guerre. C’est une lumière. Surtout pour les femmes, pour qu’elles soient inspirées et qu’elles ne baissent jamais les bras».
Texte Odile Baudrier Photo Gilles Bertrand

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